Entretien entre Yemele Fometio et le journal du PSP-UPC

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-  La LIMARA dont vous êtes le principal responsable et qui est un parti politique d’avant-garde, n’est pas vraiment connue des Camerounais et des Africains. Pouvez-vous d’une part, nous donner les raisons de cette méconnaissance, et d’autre part, nous dire ce qu’elle est précisément ? 

Merci camarade Djemba. C’est un honneur pour ma formation politique et moi d'être conviés à cet entretien. Je suis le président de la LIMARA, la Ligue des Masses pour la Renaissance Africaine. C’est un parti politique camerounais crée par un groupe de jeunes révolutionnaires qui croient en un Cameroun nouveau, libéré de toutes les formes de dominations extérieures et intérieures et travaillant uniquement pour le bien-être de ses enfants. Le fait que nous ne soyons pas assez connus sur la scène nationale du Cameroun est lié à notre plan de combat. Etant une avant-garde, nous avons voulu corriger les erreurs du passé. Et l'une des plus grandes tares de notre lutte nationale à ses différentes étapes a été l'insuffisance de théorisation.

Dans notre plan de lutte, nous avons commencé par là. Un parti politique est défini prioritairement par ses idées. Nous avons opté prioritairement vaincre le régime néocolonial de Paul Biya au niveau des idées. Nous avons produit des centaines d’articles, résumé les ouvrages déterminants sur la lutte, fait des notes de lectures, des vidéos, préparé les cours pour les élèves de l'enseignement secondaire. Nous traitons des exercices pour eux également. Bref, nous menons un combat des idées dans cette première phase de notre lutte. C’est pourquoi nous ne sommes pas très présents sur la scène politique, et c’est pourquoi nous ne sommes pas encore assez connus des Camerounais et des Africains. Les autres étapes de notre lutte vont nous amener sur le terrain. Et à ce moment, le peuple nous connaitra à travers le pays et le continent. Il faut néanmoins précisé que nous ne sommes pas totalement méconnus des Camerounais et des Africains. Nous avons beaucoup de branches, nous organisons constamment des activités politiques, et nous sommes très respectés dans le monde progressiste, et plus précisément à l’international.

-          Il me souvient que quelque temps avant qu’il ne nous quitte, vous avez rencontré Cdt Kissamba. Que partagiez-vous politiquement avec lui et qu’est-ce qui a été principalement l’objet de votre rencontre ?

Ma rencontre avec le commandant Kissamba a été l'une des périodes les plus cruciales de ma vie militante. Dans notre lutte nationale, le commandant Kissamba n'est pas n’importe qui. Il est un chef politique et un chef militaire. Lui et moi représentons deux générations de lutte. Je suis allé le rencontrer parce que j’ai beaucoup d'estime pour lui, et parce que je souhaitais son soutien dans la formation politique des cadres de la LIMARA, et finalement parce que j’envisageais une collaboration entre le PSP-UPC qu'il présidait et la LIMARA que je préside. J'estimais déjà assez le commandant, et je l'ai davantage estimé après notre rencontre. Nous avons discuté en militants, dans tout le respect et l’humilité que cela implique. Je lui ai fait des reproches qui reviennent constamment à son sujet. Il s’agit de l’abandon de l'UPC au moment où le parti avait le plus besoin de lui, ses alliances futures avec d’autres formations politiques et le pouvoir néocolonial, ses oppositions avec Ossende Afana. Il a répondu à toutes ces questions, et m'a posé les siennes. Quand je lui ai donné notre programme de formation des cadres, il l'a entièrement lu et a décidé de contribuer à l'effectivité de ce programme. Puisque je me suis déplacé de Douala à Yaoundé pour le rencontrer, il a décidé de faire le chemin inverse pour me rencontrer à son tour, malgré la maladie. Il tenait à peine debout, mais il voulait toujours apporter sa contribution à la lutte. Mais sa mort ne lui a pas permis de faire ce chemin retour et de contribuer à la formation des cadres de la LIMARA comme il avait promis. Toujours est-il, j’ai vu au commandant Kissamba un grand combattant, toujours prêt à apporter sa contribution à la lutte.

-          Vous est-il possible de qualifier la situation politique dans laquelle se trouve notre pays depuis qu’il est devenu indépendant ?

Le terme que j'utilise est celui d’une résistance sans fin contre le chaos. Notre indépendance en fait a été le point de départ d'une nouvelle période politique. Alors que les nationalistes luttaient pour cette indépendance, elle a été donnée à ceux qui ne la voulaient pas, et qui ne s’étaient donc pas préparés pour diriger le pays. En plus, ils étaient aux ordres des puissances coloniales. Ils étaient contre le pays. En face de ces hommes imposés par l’ennemi à la tête du pays, l’UPC s’est battue avec bravoure. L’UPC était l’espoir du pays. La mort d’Ernest Ouandié, le dernier chef de l’UPC, symbolisait l’échec du nationalisme camerounais. Le président Ahmadou Ahidjo imposé par la France n’avait plus en face de lui un véritable opposant. Le commandant Kissamba qui remplace Ouandié à la tête de l’UPC constate l’état de délabrement des forces du parti, et décide d’assurer sa survie. Il met un grand accent sur la formation militante. Tout bascule au retour au multipartisme en 1990. L’UPC se divise et se laisse distancer par les anciens membres de l’UNC, devenue en 1985 le RDPC, l’ancien parti unique. La nouvelle opposition jusqu’à présent est donc constituée des anciens membres du RDPC. Cette opposition multiplie des trahisons et des erreurs et est vomie par le peuple. Elle a eu néanmoins le mérite de limiter constamment les abus du régime néocolonial et répressif de Paul Biya. Le régime a créé son UPC qui l’a retrouvé dans la trahison nationale, et a en même temps refusé l’existence de la véritable UPC, aujourd’hui connue sous le nom de l’UPC-MANIDEM. Nous qui sommes restés fidèles au combat sommes très peu. Notre voix pendant longtemps a été inaudible à la scène nationale dominée par les anciens membres du RDPC au pouvoir. Mais aujourd’hui, notre voix se fait de plus entendre. Nous forçons notre retour sur l’échiquier politique national. Bientôt nous contrôlerons l’échiquier politique. Notre peuple désemparé a besoin d’un homme en qui croire, d’un leader capable de le faire sortir de cette misère, et nous allons offrir au peuple ces leaders.

-          Faisons un peu de fiction politique. Sous la direction de l’UPC originelle, celle du Mpodol Ruben Um Nyobe plus précisément, selon vous, qu’est-ce que ce pays aurait probablement pu être ?

Sous la direction de Ruben Um Nyobe,  le pays serait plus riche et plus avancé. Plusieurs éléments me permettent d’affirmer cela. Premièrement, Ruben Um Nyobe et ses camarades se sont apprêtés pour gérer le pays. Ils ont pensé un pays libre et prospère qu’ils ont voulu implémenter, contrairement à Ahmadou Ahidjo et ses camarades qui, eux, ne revendiquaient pas l’indépendance. Ils s’imaginaient toujours sous l’autorité de la France.  C’est pourquoi quand Ahmadou Ahidjo prend le pouvoir le pays se transforme en néocolonie de la France. Ce qui n’aurait pas été le cas sous Um Nyobe. Deuxièmement, Um Nyobe et ses camarades ont lutté et ont donné leurs vies pour la défense du pays contrairement à Ahmadou Ahidjo et ses camarades qui, eux, ont été installés au palais présidentiel par l’ennemi à cause de leur trahison, que les plus gentils préfèrent appeler collaboration. Donner sa vie pour une personne, une idée ou une chose est la preuve suprême d’amour qu’on porte pour cette personne, cette idée ou cette chose. Troisièmement, Ruben Um Nyobe et ses camarades ont posé l’unité nationale comme l’un des fondamentaux de leur lutte. Ils n’hésitaient à supprimer les branches de leur parti qui se créait sur des bases tribales. Ahmadou Ahidjo quant à lui, tout en clamant verbalement l’unité nationale, appliquait une véritable politique du diviser pour mieux régner, comme son successeur Paul Biya. Les deux régimes nous ont divisés pour nous empêcher de nous unir contre eux. Pour finir, au niveau des idées, Ruben Um Nyobe et ses camarades étaient très en avance sur Ahmadou Ahidjo et ses camarades, qui attendaient les ordres de la France, et qui dirigeaient le pays par les conseillers techniques français envoyés pour les aider. Aussi, tous les régimes qui ont fait allégeance à la France et à l'ancienne puissance coloniale n’ont pas vraiment avancé économiquement, contrairement à ceux qui ont opéré la rupture ou imposé une renégociation de leurs relations. On peut prendre l’Algérie et le Vietnam qui étaient dans la logique de rupture de Ruben Um Nyobe, et les comparer avec les autres anciennes colonies françaises qui ont choisies la collaboration. Les pays de la rupture sont très en avance par rapport aux pays de la collaboration.

-          Dans les rares pays africains où les nationalistes sont arrivés et restés au pouvoir, les fruits n’ont pas tenu les promesses des fleurs. Pourquoi les choses ne se sont-elles pas passées comme on l’espérait ?

Comme je le disais à l’instant, les pays qui ont opéré une rupture avec l’ancien colon français précisément sont généralement économiquement plus avancés que ceux qui ont collaborés. Mais bien évidemment, beaucoup de pays ont mené des luttes révolutionnaires, ont triomphé et n'ont pas fait des avancées considérables dans le domaine politique, économique et socio-culturel. La première raison réside dans la nature des mouvements qui ont conduit la lutte de libération. Beaucoup de ces mouvements étaient des mouvements bourgeois, dirigés par la bourgeoisie qui ne cherchait qu’à remplacer les colons. Son but n’était pas le progrès du pays, mais les avantages des colons. Une fois le pouvoir acquis, ils ont maintenu le même système de domination des pauvres et ont tout simplement chassé les colons et ont pris leur place. Kwame Nkrumah d’ailleurs classait l’essentiel des mouvements de libération en Afrique dans ce cadre, que ce soit le MPLA d’Agostino Neto en Angola, l’ANC en Afrique du Sud ou le FRELIMO au Mozambique. Les leaders africains ont profité d’une situation internationale de contestation du colonialisme pour appeler le peuple à la lutte. Pour le reste, ils se sont fiés à la providence. Très peu ont pris le temps, dans une longue vie d’opposant, de théoriser une nouvelle société. Ils ne savaient pas vraiment comment fonctionne l’économie du monde, l’économie de leur pays. Le mot d’ordre de presque tous était l’indépendance, sans vraiment savoir comment cette indépendance sera orientée. Et quand ils ont pris le pouvoir, ils ont été confrontés à la dure réalité. Le président algérien Ahmed Ben Bella qui venait d’affliger une défaite à la France a été obligé de reconnaitre que son pays n’a gagné qu’un hymne et un drapeau. Son pays ne fixait pas les prix de ses produits, et avait du mal à contrôler son économie. L’Algérie subissait tout le poids des grandes puissances mondiales, malgré son indépendance. Beaucoup de leaders n'ont pas mesuré l'immensité de la lutte qu'ils menaient. Ils se sont vite rendus compte que leur victoire n'était qu'un moyen, pas une fin. Un autre élément c’est le peuple. Beaucoup de mouvements héritent d’un peuple qui ne mesure pas encore tous les enjeux.  Ces peuples ne sont pas assez formés, et parfois pas assez combattifs. Ces peuples se battent encore à vivre ensemble et à former une nation. Cette nation se construit parfois dans la douleur des guerres civiles et des actes de tribalisme. Les leaders mesurent donc toute l'immensité de la lutte, mais le peuple est encore endormi. Au lieu de multiplier des efforts pour le réveiller, les mouvements nationalistes ont essayé de lui donner des tâches à accomplir. Le peuple n'a donc pas répondu à l'enthousiasme des leaders.

-          En tant que membre d’une opposition dont une partie est alliée au gouvernement, comment la qualifiez-vous idéologiquement et politiquement ?

On ne comprendra jamais la politique camerounaise si à l'origine on ne distingue pas deux familles politiques qui ont engendrés deux types de leaders. La première famille politique est celle que nous appelons la famille aujoulatiste. Cette famille dérive de Louis Paul Anjoulat. Devant la pression des nationalistes camerounais, Louis Paul Aujoulat, un ministre français et ancien député du Cameroun à l’Assemblée française, a recruté les arrivistes pour les dresser contre l'UPC. Presque tous nos leaders politiques dérivent de cette famille. C'est à cette famille que la France a donné le pouvoir. En 1966, Ahmadou Ahidjo, pour conforter son pouvoir, a réuni tous les partis politiques pour former l'UNC. Les politiciens qui sortent de l'UNC/RDPC presque tous ont la mentalité de départ, c'est-à-dire l'arrivisme. Ils sont intéressés par leurs propres intérêts personnels contrairement aux intérêts du peuple. A l’ouverture démocratique de 1990, pratiquement tous les partis politiques qui ont été créés par les anciens membres de l’UNC avaient la même mentalité. Que ce soit l'UNDP de Bello Bouba Maïgori, l’UDC d’Adamou Ndam Njoya ou le SDF de Ni John Fru Ndi, pour ne citer que ceux-là. Ces trois partis ont été pour longtemps les principaux partis d’opposition du pays. Partant de là on peut comprendre beaucoup de chose. Presque tous ces partis luttaient pour un plus grand positionnement dans le système. C’est pourquoi ils ont fini presque tous par revenir à la maison, c'est à dire à rejoindre le régime qu'ils combattaient hier. Се sont eux qui ont désillusionné le peuple en l'utilisant comme un moyen pour parvenir à leurs fins. Cette opposition comme son ancêtre l’UNC manque d'idéologie. Elle vogue au vent de ses intérêts. Elle tient même parfois des discours révolutionnaires si cela permet de défendre son intérêt personnel. On la surprend parfois se clamant panafricaniste pour tromper le peuple. A côté de cette famille, on a la famille upéciste qui est restée fidèle à la lutte, et n'a jamais flanché. Humiliée, combattue, divisée, cette famille a tenu ferme. Elle se compose aujourd’hui de l’UPC-MANIDEM, de la LIMARA, du collectif Mémoire 60 et d’autres organisations et partis politiques. Le parti qui porte aujourd'hui le sigle de l’UPC n’est pas de cette famille, mais de la famille aujoulatiste. C’est un ennemi que le régime a tenté d’imposer dans la famille upéciste. Mais il a été détecté et combattu. Le régime lui a donné le sigle principal du camp upéciste pour mieux semer la confusion entre les camerounais. A côté de ces deux familles, il y a une autre qui n’est ni aujoulatiste, ni upéciste, et qui est tout simplement progressiste. Dans ce camp, on peut mettre le CPP d’Edith Kah Wallah. Ce parti partage beaucoup d’affinités avec la famille upéciste, et est restée ferme dans la lutte. Il n’a pas rejoint la famille aujoulatiste avec qui il collabore également. Les progressistes, et plus précisément la CPP, sont une force intermédiaire entre les deux familles.

-          Nous ne sommes plus très éloignés du terme du mandat présidentiel en cours. Comment voyez-vous l’avenir du Cameroun ?

Aux élections de 2025, rien de significatif ne changera au Cameroun. Tous ceux qui, aujourd’hui, ont le plus d'influence pour prendre le pouvoir sont du camp Aujoulatiste. Il y a certes parmi eux, ceux qui sont cyniques comme le RDPC, et  ceux qui manifestent un patriotisme latent comme le MRC. Mais ils sont pratiquement tous les mêmes. Aucun parti politique du camp upéciste n’a actuellement la force nécessaire pour pouvoir exercer une influence. Aucun ne sera donc aux élections de 2025. La plupart des progressistes, y compris le CPP, ont contesté les élections organisées au pays et ont décidé de ne plus y participer. Donc en 2025, la famille aujoulatiste va aller aux élections pour se voter elle-même. On ne peut donc pas attendre grande chose de ces élections. Il y a plusieurs personnalités qui iront à ces élections. Le président Paul Biya pourra se représenter. Son fils Frank Biya le pourra aussi puisque son nom revient de plus en plus sur la scène politique. Il y a aussi la possibilité certes peu probable, du Secrétaire d’Etat Ferdinand Ngoh Ngoh. Dans l’opposition, nous aurons sûrement Maurice Kamto qui représentera le MRC. Voilà les principales figures qui pourront exercer une influence à cette élection de 2025.

-          Pour vous, l’homme camerounais comme citoyen est-il un produit fini ou encore à façonner ?

L’homme camerounais n'est pas encore un produit fini. Il est encore à façonner. Le camp aujoulatiste qui a pris le contrôle de la scène politique depuis l'éviction de l’UPC en 1955 n’a pas fait des efforts pour former politiquement le peuple. Il n’a d’ailleurs pas intérêt puisque le peuple formé politiquement doit faire un choix raisonné de ses dirigeants, et évincer les aujoulatistes. Au contraire ce camp a tout fait pour que les camerounais n’aient pas la formation politique nécessaire pour questionner et agir. En termes de formation politique, tout est à refaire au sein de notre peuple. Un travail titanesque doit être fait. Et ce travail est d’une nécessité absolue. Luttant pour la défense des droits des noirs aux Etats Unis d'Amérique, Malcom X fut forcé de reconnaitre : « La plus grande erreur du mouvement a été de tenter de mobiliser un peuple endormi pour atteindre les objectifs de grandeur. Il faut d'abord réveiller le peuple. » On réveille le peuple avec la formation. Ce travail est la base de tout changement véritable. Un peuple non formé, donc endormi ne peut pas atteindre les objectifs de grandeur. Les politiciens du camp aujoulatiste n'ont pas placé le peuple comme objectif final de la lutte, mais comme moyen de prise de pouvoir. C’est pourquoi ils n’ont pas jugé utile de dépenser pour la formation politique du peuple, puisque dans tous les cas une telle formation se retournera contre eux, une fois que le peuple sera conscient. Mais la LIMARA a débuté ce travail qui se poursuit. La diaspora tchadienne l’a aussi engagé pour le peuple frère du Tchad. D’ailleurs la LIMARA apporte son soutien à la formation citoyenne du peuple frère du Tchad en dispensant des cours. Si la formation se poursuit, d’ici quelques années le peuple tchadien sera capable de se prendre en main et de contrôler sa destinée.

-          Que devrait être l’homme négro-africain idéal ?

L’homme africain idéal doit être un unificateur acharné. Il doit se battre à unir les Africains à travers le monde pour parvenir à un Etat africain uni. Il doit être un ennemi juré de la division sous toutes ses formes, et plus précisément sa forme tribale. Il doit avoir des valeurs morales, respecter son prochain et tous ceux qui sont sous son autorité, sans bien sûr pousser ce respect à trop de familiarité. Il doit être intègre, incorruptible. Il doit beaucoup lire pour pouvoir étudier tous les contours de la lutte qu'il mène. Il doit être capable de s'adapter à des situations les plus pénibles, être capable de tenir la lutte dans des conditions insupportables. Il doit être un entrepreneur pour pouvoir autonomiser le mouvement et les hommes sous son contrôle. Il doit s'attacher à la culture africaine et la défendre. Il ne doit donc pas être un acculturé. Sa famille doit être fondée sur des valeurs propres à l'Afrique. Il doit être un créateur. L’Afrique et les Africains doivent être son plus grand souci. En famille, il doit respecter son conjoint ou sa conjointe, ses enfants, se battre pour le bien-être de sa famille. Le système éducatif de ses enfants, ses croyances, sa religion, son habillement et sa manière de parler doivent refléter fondamentalement l'univers nègre.

-          Quelle est la position que l’Afrique doit adopter vis-à-vis des autres au regard des mutations qui s’opèrent sous nos yeux ?

Plusieurs mutations s'opèrent au monde présentement. Les pays européens qui s'affrontaient hier se sont unis pour former l'Union Européenne. L’Amérique latine s’unit autour des projets communs comme L’ALBA (Alliance Bolivarienne des Amériques), ou le Mercosur qui est une forme de marché commun. La Russie vaincue hier revient en première ligne de la scène. De nouveaux pays comme l'Inde, la Chine, le Brésil et Hong Kong forcent leur présence à la première place des puissances mondiales. Désormais, il faut tenir compte d'eux. Les Etats arabes accentuent la résistance face à l'impérialisme occidental. La récente victoire des Talibans sur les Etats Unis d’Amérique renforce cette résistance. Les Etats Unis ont cessé d'être le gendarme du monde. Ils ne sont plus tout puissants. Ils sont rivalisés par d’autres puissances. Le monde est donc en pleine mutation. L’Afrique dans tout ceci ne mesure pas encore les enjeux, ce qui fait de nous le champ de bataille de toutes ces puissances. Une guerre sans merci se fait entre toutes ces puissances pour le contrôle de notre continent, puisque nous n'avons pas encore pu constituer une force. Nous sommes encore dans le tribalisme, les replis identitaires. Nous sommes à la traine du monde, ce qui nous rend particulièrement vulnérables. De jours difficiles nous attendent, à moins que rapidement nous nous reprenions et que nous constituons la force qui nous manque. Le projet de notre extermination a déjà été déclenché, et nous ne parvenons pas à le saisir.

-          Quelle est la perspective politique pour l’Afrique noire et ses populations ?

Pour que l’Afrique noire échappe à ce destin funeste qui a déjà débuté, il faut constituer un puissant mouvement d’avant-garde devant concentrer les aspirations du peuple noire à travers la planète. Ce mouvement doit rapidement former des leaders nouveaux capables de sauver les noirs de l’extermination. Il doit planifier la lutte et donner des tâches. Il doit conduire le peuple nègre à la libération. Le moyen le plus efficace pour l’Afrique est donc l'unité. C’est notre seul moyen de survie. Mes camarades et moi construisons cette avant-garde qui est la Ligue Associative Africaine. Elle façonne un Etat africain uni que nous appelons la République de Fusion Africaine. L'unité n’est plus un choix, c’est une nécessité.

-          C’est une question qu’on pose rarement aux hommes politiques négro-africains mais que les récents événements de Tunisie imposent désormais à tout le monde. Entre l’Afrique du Nord blanche et l’Afrique noire, comment voyez-vous l’avenir des relations ?

La question de l'Afrique du nord  n’a pas fait l'unanimité entre les panafricanistes. Si Kwame Nkrumah et Mouammar Al Kadhafi voyaient le panafricanisme comme l’union de tous les Africains, Marcus Garvey et Cheikh Anta Diop, eux voyaient le panafricanisme comme l’union des nègres uniquement. Le passé de l'Afrique du Nord et l'Afrique noire rendent très difficile une cohabitation franche entre les deux parties du continent. L'Afrique du Nord a réduit l’Afrique noire en esclavage pendant des siècles. Les scènes de xénophobie récentes contre les Noirs en Afrique du Nord rendent cette cohabitation d'avantage difficile. Mais je crois que nous pouvons vivre dans l'acceptation. Le panafricanisme pour moi, est paritairement l’union des nègres à travers la planète. L'Afrique du Nord peut même faire partir de cette nation que nous construisons.

-          De quel genre d’élites l’Afrique noire a-t-elle besoin ?

Je préfère le terme leader. L’élite laisse apparaitre l'écart entre les hommes, les uns étant faits pour guider les autres. Le leader montre plus l'homogénéité du groupe. Le leader africain doit être un travailleur acharné, démocrate, déterminé. Il doit étudier sans cesse, aimer sa race, son peuple et l'Afrique. Il doit être capable d'aller au-delà de ses capacités pour le succès de son peuple.

-          Comment l’Afrique doit-elle faire pour avoir ces leaders ?

Il y a plusieurs types de leaders. Il y a, au sommet, ceux qu’on appelle les héros. Ce sont ceux qui façonnent la destinée de leurs peuples sur des générations, voire des millénaires. Leurs peuples les transforment souvent en dieux ou demi-dieux. Généralement, ils donnent leurs vies pour leurs peuples. A côté d'eux, il y a les leaders secondaires ou nationalistes. Ils se battent aussi pour leur peuple. Mais leur impact n'est pas aussi grand que celui des héros. La condition pour avoir des leaders est simple. C’est l'amour de leur pays et de leur peuple. On ne crée pas le nationaliste, on le découvre. Le nationaliste est celui qui aime son peuple et éprouve de la peine quand ce peuple souffre. Cet amour, on ne le crée pas. Thomas Sankara écrivait déjà que "les situations difficiles font émerger de grands hommes". Les nationalistes sont ceux qui réagissent à la souffrance de leur peuple et tentent de solutionner la crise que ce peuple traverse. A ses débuts, la LIMARA a voulu constituer un leadership de lutte. Nous avons recruté tous ceux qui disaient vouloir changer le pays. Mais nous sommes arrivés à une conclusion simple : On ne crée pas un nationaliste, on le découvre et on le forme. Quand nous trouvons un nationaliste, nous l’appelons le diamant et nous taillons ce diamant à la mesure de la lutte. Tailler le diamant c'est tout simplement le former. Dans la recherche des diamants nous tombons la plupart de temps sur des cailloux qui brillent comme des diamants. Les nationalistes éparpillés, non formés, ne peuvent pas provoquer une action de changement. Il faut les regrouper au sein d’un mouvement, leur donner une formation qui les rende aptes à jouer le rôle historique de premier plan. On les rend capables de guider et mobiliser les masses, d’agir sur la destinée des foules. Il faut faire d'eux des cadres de la lutte. Pour cela le rôle d’un mouvement d’avant-garde est déterminant. C’est l’une des raisons qui ont conduit à la création de la LIMARA et de la Ligue Associative Africaine. La force d'une avant-garde est finalement juste de retrouver les nationalistes disséminés à travers le pays et sa diaspora, et leue donner la formation nécessaire. Quand des nationalistes qui aiment le pays se retrouvent au sein d' un même mouvement pour penser le pays, le changement n’est plus loin. Mais ces nationalistes qui à leur arrivée dans le mouvement ressemblent aux diamants bruts, doivent atteindre le changement qualitatif. Le changement qualitatif est une période dans la vie militante où le cadre réalise qu’il est prêt à jouer un rôle historique. Généralement quand il vient d’arriver dans le mouvement, il est violent. Il crie, critique, insulte. Il veut tout changer immédiatement. Mais quand il atteint le changement qualitatif, il devient plus calme. Il comprend que crier, gesticuler ne servent pratiquement à rien. Il commence à penser le futur. Et chacun de ses paroles et de ses textes pèsent désormais. A ce stade, nous  avons un cadre. Nous avons un révolutionnaire. Atteindre ce niveau n’est pas facile. Il demande beaucoup d’efforts de la part du mouvement d'avant-garde et une grande volonté de la part du nationaliste. Il y a une histoire assez intéressante d'un militant des Black Panthers qui luttaient pour la cause des Noirs aux Etats-Unis d’Amérique. Un jeune militant, face aux humiliations et aux assassinats répétés des Noirs arrive au siège des Black Panthers et tout excité, il demande une arme pour tuer le premier blanc qu’il va rencontrer. Au lieu de l’arme, on lui donne un lot d’ouvrages à lire. Le mouvement a compris l'importance de la formation dans l'atteinte du changement qualitatif. Le même mouvement, pour habituer ses militants à la lutte non violente, les soumettaient à la torture et aux sévices corporels pour travailler la maitrise de soi face à la violence policière qu'ils subiront lors des marches de protestation. Donc tout repose sur le recrutement et la formation.

-          Comment le LIMARA se voit-elle dans un proche avenir ?

Il est particulièrement difficile de faire des pronostics en politique. La LIMARA et son organisation sœur la Ligue Associative Africaine ont un plan de bataille qui fera de la LIMARA la principale force de terrain et en terme d’organisation du pays. Mais en politique, des événements surgissent et nous poussent à revoir les plans incessamment. La LIMARA compte, avec d’autres organisations, constituer une force politique assez puissante pour prendre le pouvoir au Cameroun et implémenter son plan d’action. Elle compte densifier la formation de son équipe dirigeante et intensifier les recrutements de nouveaux nationalistes.

-          Peut-on vous prêter en dehors de la LIMARA d’autres ambitions ?

Oui bien sûr. En tant qu’homme, je compte poser une solide assise économique, et j’ai l’intention d’unir l'Afrique en seul pays et si possible la diriger.

Entretien réalisé par Jean Pierre Djemba dans le cadre du journal du parti politique PSP-UPC, en juin 2023