Note de lecture : OUVRAGE : L’empire de la honte AUTEUR : Jean Ziegler
L’empire de la honte est ce monde dans lequel l’homme a perdu sa dignité. Devenus la proie des humiliations de toutes sortes, les hommes se sentent affligés par ce qui arrive aux autres. Jean Ziegler qui décrit et décrie cet empire est un sociologue suisse. Ce chercheur est un véritable homme de terrain, qui se frotte aux réalités des pays pauvres avant d’en parler. Il est depuis 2009, vice président du comité des droits de l’homme des nations unies. Son intention est de procurer une arme intellectuelle à l’humanité et en particulier aux peuples opprimés tels que ceux d’Afrique, en vue de la reconstruction du monde. La substance de l’ouvrage peut être saisie sous un triple angle : l’indignité des conditions existentielles de l’homme, les architectes du système cannibale mondial et les perspectives d’alternative proposées par son auteur.
L’indignité des conditions existentielles de l’homme
L’analyse que Jean Ziegler fait des conditions existentielles de l’homme contemporain laisse croire que la planète terre est un enfer, un véritable camp d’extermination. 82% des éthiopiens vivent dans l’extrême pauvreté. 59% des décès d’enfants de 5 ans du tiers monde sont dus à la sous-alimentation. En Angola, un seul hôpital pour personnes brûlées (plus de 500 enfants sont morts entre 2002 et 2006 des affres douleurs), plus de 10.000.000 d’enfants meurent chaque année de malnutrition, 42% d’adultes au Maroc ne savent pas lire ni écrire. Toutes les 5 secondes, un enfant de moins de 10 ans meurt de faim. Toutes les 4 secondes, quelqu’un devient aveugle dans le monde par manque de vitamine A. En 2006, 854 millions de personnes (soit un homme sur six de notre planète) ont été gravement et en permanence sous alimentées alors qu’elles étaient de 842 millions en 2005. Deux millions d’africains, annuellement, tentent d’entrer en Europe en passant par le Maroc (Détroit de Gilbratar) le Sénégal ou la Mauritanie (les îles Canaries). 2000 d’entre eux périssent en Méditerranée et dans l’Atlantique. Selon le gouvernement espagnol, 47 685 migrants africains sont arrivés sur les côtes de l’Espagne en 2006.
Qu’est-ce qui légitime le fait que la nature qui, de part l’abondance de ses richesses, devrait être un cadre d’épanouissement total de l’homme, soit devenue une prison pour ce dernier? Qu’est-ce qui génère tant de souffrances sur terre ?
Les architectes du système cannibale mondial
Les « cosmocrates » ou maitres du monde sont ceux à qui l’auteur impute la responsabilité de la déshumanisation du monde. Ce sont les multinationales industrielles et bancaires de plusieurs pays (France, UK, Japon, USA, Allemagne, Belgique etc…), qui gouvernent économiquement et politiquement le monde. Ces sociétés capitalistes et impérialistes ont d’énormes capitaux, les technologies de hautes qualités, les laboratoires de recherches les plus sophistiqués du monde. En 2006, les 506 plus grandes firmes contrôlaient 52% du PMB. Les taux d’autofinancement sont de 130% au japon, 110% en Allemagne, 120% aux USA. Les 374 plus grandes entreprises continentales détiennent plus de 600 milliards de dollars de réserve. La réserve de la plus grande entreprise du monde, Microsoft, augmente de 1 milliard de dollars par mois.
Ces firmes impérialistes utilisent plusieurs stratégies pour pérenniser leur logique de quête perpétuelle de profit : La guerre leur permet d’éliminer tous ceux qui s’opposent à une telle logique, les manipulations médiatiques pour détourner l’attention des hommes (cacher les intérêts économiques, cacher l’histoire, diaboliser l’adversaire, monopoliser la parole, innocenter l’agresseur). En 2004, les dépenses militaires mondiales s’élevaient à 780 milliards de dollars. Entre septembre 2003 et septembre 2004, les USA qui effectuent 47% des dépensent militaires dans le monde finançaient à hauteur de 4,8 milliards de dollars par mois la guerre en Irak.
La dette et la faim sont deux grandes armes utilisées pour contrôler le monde. La dette permet de confisquer la souveraineté des Etats et la faim qui en découle les prive de leur liberté.
La dette extérieure du tiers-monde et des pays de l’ancien bloc soviétique en 2003 |
||
|
Montant de la dette en milliard de dollars |
Intérêts et amortissement obligatoires en 2003, en milliards de dollars |
Amérique latine |
790 |
134 |
Afrique subsaharienne |
210 |
13 |
Moyen-Orient et Afrique du Nord |
320 |
42 |
Asie du sud |
170 |
14 |
Asie de l’Est |
510 |
78 |
Ex-bloc soviétique |
400 |
62 |
Total |
2400 |
343 |
Le tiers-monde consacre l’essentiel de son budget au payement des intérêts et amortissements sans cesse croissants d’une dette qui augmente au jour le jour. Voici les chiffres de 1985 à 2005
Année |
Montant de la dette en milliards de dollars |
Service annuel (intérêts et amortissement de la dette) |
1980 |
580 |
90 |
1990 |
1420 |
160 |
1996 |
2130 |
270 |
1997 |
2190 |
300 |
1998 |
2400 |
300 |
1999 |
2430 |
360 |
2000 |
2360 |
380 |
2001 |
2330 |
380 |
2002/2003 |
2400 |
395 |
Part du budget allouée aux services sociaux de base et au service de la dette (1992-1997)
Pays |
Services sociaux |
Services de la dette |
Cameroun |
4,0% |
36,0% |
Côte-d’Ivoire |
11,4% |
35,0% |
Kenya |
12,6% |
40,0% |
Zambie |
6,7% |
40,0% |
Niger |
20,4% |
33,0% |
Tanzanie |
15,0% |
46,0% |
Nicaragua |
9,2% |
14,1% |
De tout ce précède, il s’ensuit que l’homme serait éternellement condamné à l’humiliation, à la souffrance ou à mourir si rien n’est fait pour le sauver. L’empire de la honte propose les perspectives de sauvetage de l’homme.
Les perspectives d’alternative
Face à cet ordre anthropophagique mondial érigé par le capitalisme impérialiste, Jean Ziegler esquisse des perspectives qui s’inspirent pour la plupart des modèles de résistance qui existent déjà.
Par des associations (funéraires, bancaires et de travailleurs) d’entraide, les éthiopiens parviennent à résister au système financier mondial. Cette solidarité est un modèle par excellence à suivre d’après notre sociologie. Bien plus, l’auteur propose l’exemple d’un pays du tiers-monde qui s’est émancipé de la tutelle de l’impérialisme étasunien. Il s’agit du Brésil de Luiz Ignacio Lula da Silva, dont la priorité politique se résume à la devise programa fome zero (programme zéro faim). Pour acquérir leur souveraineté en se libérant notamment du joug de la dette, les pays pauvres peuvent, selon Ziegler, emprunter trois voies. La première est celle de la création des mouvements sociaux du Sud qui pourraient entrer en contact avec ceux du Nord qui, à l’instar de Jubilé 2000 et du Comité d’Annulation de la Dette du Tiers-Monde (CADTM), militent pour la justice sociale planétaire. La deuxième voie est celle de l’audit de la dette : les pays surendettés doivent procéder à un examen minutieux des documents ou dossiers liés à la contraction de leurs dettes afin d’en assurer la transparence. La troisième voie est celle de la constitution d’un « cartel des débiteurs » pour imposer l’annulation pure et simple de leur dette.