Fiche de lectture de l'oeuvre Ville cruelle
Introduction
Ville cruelle est un roman publié pour la première fois aux éditions Présence Africaine en 1954. Il pose le problème de l'oppression coloniale. Les colons établissent une différence nette entre les colonisés et eux. Ils torturent et assassinent tous ceux qui s’opposent à eux. Ce roman se situe donc dans la littérature engagée. Il a été rédigé par Eza Boto.
I- L'auteur et le contexte de l'œuvre
Eza Boto, de son vrai nom Alexandre Biyidi Awala est né à Akometan au Cameroun le 30 juin 1932. En 1953, à l'âge de 21 ans, il publie sa première œuvre littéraire intitulée sans haine et sans amour. En 1954, il publie ville cruelle sous le pseudonyme d’Eza Boto, quand il a 22 ans. En 1991, après un long séjour en France, il retourne au Cameroun où il ouvre la librairie des peuples noirs à Yaoundé. Il lance les activités agricoles dans son village Akometan. Il crée des associations de défense des citoyens. Il meurt le 7 octobre 2001 à Douala. Eza Boto, encore appelé Mongo Béti, est un écrivain très engagé. Son ouvrage appelé Main basse sur le Cameroun a été censuré par la justice française.
Ville cruelle est publiée en 1954, à un moment où son pays le Cameroun conteste vigoureusement la colonisation française. Les abus de la France de plus en plus reçoivent la résistance des camerounais. Cette résistance l'année suivante devait se transformer en une longue et sinistre guerre d’indépendance où les Camerounais ont affronté militairement la France pour leur liberté. C’est pour éviter la barbarie française que l’auteur s'est caché derrière le pseudonyme d’Eza Boto pour écrire cette œuvre.
II- Schéma narratif et actantiel
1- situation initiale
La situation initiale calme de cette œuvre est le contexte de Tanga, une ville divisée en deux : Tanga sud qui est la partie des blancs, avec des bureaux administratifs, des entreprises et un lieu de commerce, et Tanga nord, la partie indigène rassemblant les habitants d'horizons divers, une partie où la consommation de l'alcool est très accentuée, où on tue impunément, sauf si on touche au colon français. Dans Tanga- nord, les soirs se transforment en fêtes. Cette partie de Tanga est dominée par la prostitution et les agressions.
Elément perturbateur
L'élément perturbateur qui ouvre l’œuvre est la maladie de la mère de Banda et sa mort prochaine. Son dernier vœu est de voir son fils marié, or le montant de la dot fixé par le père de sa fiancée est très élevé.
La destinatrice
La destinatrice de ce roman est la mère de Banda qui demande à son fils de se marier avant sa mort. Elle donne donc une mission à son fils Banda. Elle a rejeté toutes les filles que son fils a voulu épouser, sauf une.
L’objet
Le père de la seule fille que la mère de Banda n’a pas rejeté a fixé très haut le montant de la dot. Banda a donc pour mission de trouver 10.000 frs pour compléter ses économies et doter sa fiancée.
Les péripéties
Pour trouver les 10 000 frs, Banda a produit du cacao toute l'année. Il compte vendre son cacao pour payer la dot. Son cacao doit lui rapporter 12 000 frs. Mais il est jugé de mauvaise qualité par le service de contrôle et brulé. Banda décide de voler un grec. Tandis qu'il réfléchit, il se fait aborder par Odilia, dont le frère est recherché par l'administration coloniale française pour avoir organisé une grève qui a causé la mort de leur patron. On reproche aux grevistes d’avoir pris 100 000 frs chez leur patron. Banda trouve dans la demande d’Odilia d’aider son frère l'occasion de demander à Koumé, le frère d’Odilia, de lui apprendre à voler les grecs. Il accepte de soustraire Koumé aux recherches des gardes et le mettre en sécurité. En route, la passerelle se casse, Koumé tombe, se fracasse le crane et meurt. Banda va laisser Odilia chez sa mère malade et rentre transporter le corps de Koumé à Tanga pour que les gardes arrêtent de le chercher, et ne vont pas torturer ses parents pour le retrouver. Une fois le corps de Koumé déposé à Tanga, il fouille sa poche et retire 15 000 francs. Mais il a un problème de conscience et remet cet argent à Odilia. De retour au village Bamila où se trouvent sa mère malade et Odilia, Banda trouve une valise perdue par un couple grec. Les grecs pour le remercier lui donnent assez d’argent pour doter sa femme.
Le dénouement
La mère de Banda malade demande à Odilia d'épouser son fils. Elle accepte. Banda aussi accepte de l'épouser. Malgré le fait qu'il n’a pas pu épouser sa fiancée qui l'avait poussé à faire des efforts, le dénouement est tout de même heureux. Il a pu trouver les 10 000 frs de dot, et a trouvé une femme qui plaise à sa mère.
Situation finale
Banda a quitté le village Bamila à la mort de sa mère pour s'installer avec sa femme Odilia dans le village de cette dernière. Les parents d’Odilia l'ont accepté. Il compte aller s'installer à la ville de Fort-Nègre.
Destinataires
Plusieurs personnes ont profité de la quête du héros Banda. Il s'agit de sa mère qui est morte heureuse de voir son fils marié. Le deuxième est Banda lui-même qui a eu une femme et une famille qui l'apprécie. La troisième bénéficiaire est Odilia qui a eu un mari pour la consoler de la mort de son frère Koumé.
Le sujet
Le sujet de ce Roman est Banda, un jeune en âge de se marier, arrogant, bagarreur. C’est le seul enfant de sa mère, orphelin de père. Il est très sensible à la souffrance de sa mère, et prêt à tout pour la rendre heureuse pendant le peu de temps qu'elle a encore à vivre. Banda est sensible à la souffrance d'autrui.
2- Schéma actantiel
Le destinateur
Le destinateur est Banda
Objet
Son objectif est de chercher 10 000 frs pour compléter ses économies et pouvoir doter sa fiancée.
Les opposants
Plusieurs personnes et éléments empêchent à Banda de trouver ces 10 000 frs pour compléter ses économies et doter sa fiancée. Le premier est l'administration coloniale française qui a installé un système de contrôle entre les paysans et les acheteurs grecs. Ce service de contrôle a volé le cacao de Banda en prétendant l'avoir brûlé. Le deuxième opposant est constitué des gardes regionaux qui ont bastonné Banda quand il a riposté à la décision du service de contrôle. Le troisième opposant c’est la passerelle qui a lâché et a provoqué la mort de Koumé que Banda voulait protéger pour qu'il lui apprenne à voler les grecs. Le quatrième opposant est Tonga, l'oncle de Banda qui a refusé d'aller voir le père sa fiancée pour négocier pour son neveu. La conséquence est que le père de sa fiancé a fixé le prix de la dote très élevé.
Les adjuvants
Plusieurs éléments et personnes ont aidé Banda dans sa quête de 10 000 frs. Il s'agit premièrement des femmes du village (Regina, Sabina...), les amies de sa mère malade qui ont aidé Banda à porter son cacao du village Bamila à la ville Tanga. Ces femmes ont supplié les gardes de le libérer quand il était arrêté, et s'occupaient de sa mère malade quand il n'était pas là. Deuxièmement, Banda a été aidé par les buveurs qui ont donné des informations sur Koumé recherché et la valise perdue des grecs. Il a utilisé ces informations pour facilement accepter d’aider Koumé et avoir la récompense des grecs. Troisièmement, il y a la mort de Koumé qui permet à Banda d'avoir les 15 000 frs et de pouvoir facilement épouser Odilia. Quatrièmement, il y a sa mère malade qui propose à Odilia et Banda de se marier.
III- La stylistique
La tonalité dominante de l'œuvre est la tonalité pathétique. Il y a beaucoup d'éléments qui suscitent la pitié, la compassion. Il y a l'agonie de la mère de Banda, le cacao de Banda brulé, un enfant écrasé par le camion, la mort de Koumé. Le niveau de langue est soutenu, malgré quelques passages familiers et courants. Le champ lexical dominant de l'œuvre est celui de la souffrance. Il renvoit à la condition des noirs dans leur propre pays, soumis à une souffrance atroce par l'administration coloniale française et les commerçants grecs.
Critique de l'œuvre
Il est particulièrement difficile, à moins d'être un critique littéraire, de critiquer ville cruelle. On peut reprocher à Eza Boto l'excès d'atrocité dans l’œuvre, ou la qualification des personnages en fonction de leur origine régionale qui, pour nous, n’était pas important. On peut aussi reprocher à Eza Boto de n'avoir pas fait une rupture totale au niveau de ses personnages. Des noms africains comme Banda, Koumé, cohabitent avec des noms français comme Odilia, Sabina, Regina. Le peuple africain est actuellement au niveau de la rupture totale, et cette rupture doit se manifester dans sa littérature. Le sort (la mort) réservé à Koumé, l'élément révolutionnaire de l’œuvre devait suivre les révolutionnaires africains. Ce sort rend l'œuvre plus pathétique, mais aussi plus réaliste.
IV- Le mérite de l'œuvre
Ville cruelle a le mérité de se situer dans le grand univers de la littérature anticoloniale. Eza Boto a été l'un des pionniers. La division de la ville en deux par les blancs pour ne pas se mélanger avec les indigènes sera développée plus tard par Frantz Fanon dans son ouvrage Les damnés de la terre. Ville cruelle a nourri beaucoup de mouvements de lutte contre la colonisation et a sans aucun doute été d'une contribution non négligeable pour la décolonisation. Le héros, Banda, est porteur d'une nouvelle conscience. Il s'oppose en même temps aux blancs et aux anciens. Il forme, avec Koumé, les éléments révolutionnaires de l'œuvre. Le sort de Koumé préparait déjà le sort des futurs révolutionnaires africains qui avaient rendez-vous avec la mort. La pauvreté de Banda et Koumé, leur sens de l'humain, leur combat contre ceux qui oppriment leur peuple, les difficultés pour se marier, devaient caractériser des futurs révolutionnaires africains. Presque tous seront de milieux particulièrement modestes et déterminés à libérer leur peuple.
V- Résumé
Le roman s’ouvre par une rupture amoureuse. Banda, malgré les supplications de sa compagne, décide de la quitter comme le lui a demandé sa mère. Pour mieux le faire comprendre à sa compagne, Banda rappelle la place de sa mère qui l'a élevé toute seule après la mort de son père, qui a préféré rester loin de son pays d’origine pour prendre soin de lui. Le chapitre deux se poursuit avec la description de la ville de Tanga, une clairière au milieu de la forêt. Cette ville est divisée en deux. Il y a Tanga sud disposant de quelques usines et d’un centre commercial. Cette partie est dominée par les commerçants grecs qui achètent le cacao aux noirs. Tanga nord est la partie des indigènes, avec les mêmes cases qu'on rencontre partout dans la forêt. Ces deux Tanga sont deux mondes différents avec deux destins différents : Tanga de l'argent et du travail lucratif vidait l'autre Tanga de sa substance humaine. Les noirs remplissent Tanga des autres et y travaillent comme manœuvres, petits commerçants, cuisiniers, boys, marmitons, prostituées, fonctionnaires, escrocs, oisifs, rabatteurs… Tanga nord était celui des indigènes, dominé par le calcul mesquin, la nervosité, l'alcoolisme qui excite le mépris de la vie humaine. Elle détenait le record de meurtres et de suicides. L'amour des habitants pour les bagarres et le sang croissait au fil des jours. Des gens venaient d'horizons différents pour se retrouver à Tanga nord. Tanga nord faisait la fête chaque soir. L'administration ignorait tout des indigènes, de ses joies, ses souffrances, ses aspirations. Il s'intéressait à deux catégories parmi les indigènes : ceux qui ont réussi à faire une ascension malgré les barrières et qui peuvent payer tribut, et tous ceux qui, d'une manière ou d’une autre, pouvaient constituer une menace. Tanga-nord était un authentique de l'Afrique. A peine né, il s'était trouvé tout seul dans la nature. Il grandissait et se formait trop rapidement. Il s'orientait et se formait trop au hasard, comme les enfants abandonnés à eux-mêmes.
Le chapitre 3 présente une famille de Tanga nord. Le frère Koumé et sa sœur Odilia discutent avant le départ du frère au travail. Cette discussion laisse apparaitre leur pauvreté. Le frère demande à sa sœur comment elle fait pour qu'ils continuent de manger sans argent. Odilia la sœur a rêvé de la mort de son frère Koumé. Le chapitre 4 est centré sur le contrôle. Banda apporte 200 kilos de cacao pour vendre à Tanga. L'administration coloniale française s'est imposée entre les producteurs et les acheteurs grecs. Elle a envoyé ses agents dans les villages pour imposer une manière de produire le cacao. Ce qui révolte les paysans. Elle a institué un système de contrôle de la qualité du cacao avant que les producteurs puissent être autorisés à vendre leur cacao aux grecs. Banda suit le rang avec son cacao. Les femmes qui l’ont aidé à transporter le cacao depuis le village lui reprochent de n'avoir pas corrompu les contrôleurs. Mais Banda est sûr de la qualité de son cacao. Il a respecté toutes les orientations de l'administration coloniale. Banda rêve d'une vie heureuse à Tanga-sud à Fort-Nègre, une autre ville. Il rêve s'évader de l'agriculture, de son village Bamila avec sa femme. L’attente est longue sous le soleil, avec la sueur qui coule sur les visages. Les vielles femmes, à force d'attendre s'essayent. Le cacao de Banda est jugé de mauvaise qualité et brûlé. Banda s'oppose et les gardes le frappent, et l'amènent à la police. Une année entière du travail de tous les jours a été mis au feu ou du moins on a fait semblant de le faire pour le récupérer après. Le chapitre V est basé sur une discussion entre Banda et son oncle. Son oncle s'offusque du fait que tout se passait bien avant que l'administration coloniale ne décide de s'interposer entre les paysans et les acheteurs grecs. Il reproche à son neveu le fait qu'il ait refusé de corrompre les contrôleurs et lui rappelle que les ordres viennent de très haut, et même s’il porte plainte, elle n'aboutira pas et lui rappelle que son cacao n’a pas été brûlé, mais tout simplement confisqué. Son oncle lui demande d'aller voir sa tante malade avant de rentrer à son village Bamila. Lui son oncle n'a pas les moyens financiers pour l'amener à l'hôpital. Il faut corrompre à tous les niveaux. En chemin voir sa tante, il assiste à un accident. Un conducteur de camion ivre a écrasé un enfant. Il assiste à une grève des mécaniciens qui portent leur patron blanc. Les gardes régionaux arrivent et au lieu d'arrêter les mécaniciens, ils les laissent s'enfuir. Un haut gradé blanc arrive, apprend la nouvelle, aligne les gardes régionaux et les botte les fesses pour avoir laissé les grévistes s'échapper. Banda ne comprend pas pourquoi les gardes régionaux d'habitude si violents, ont décidé de laisser s'échapper les mécaniciens. Surpris par la pluie, il se réfugie dans une buvette de vin de maïs. Il y apprend que la moitié des cacaos sont confisquées par le service de contrôle imposé par l’administration coloniale française, et les propriétaires se retrouvent dans les buvettes pour noyer leurs chagrins. Les victimes du vol de cacao cherchent un bouc émissaire et accusent les femmes de tous les maux.
Banda pense à tout ce qu’il a vécu et décide de voler 10.000 frs pour doter sa femme et faire plaisir à sa mère avant sa mort. Il pense au grand bureau de l'administration et à la caisse des missionnaires. Mais les deux services sont très protégés par les gardes. Il décide de voler l0 000 frs chez les Grecs. II apprend que les gardes recherchent Koumé, un meneur de la grève. Les grévistes auraient battu leur patron et dérobé 100 000 frs. Banda pense rencontrer Koumé pour qu’il lui donne le tuyau pour faire son vol. Banda se fait approcher par Odilia, la sœur de Koumé qui lui demande d’aider son frère à échapper aux gardes qui le recherchent. Banda trouve l’occasion pour demander le tuyau à Koumé pour voler les grecs. Banda et Odilia vont chercher Koumé qui grelottait sous la pluie intense de la soirée. Mais Koumé décède en chemin pour Bamila. Banda ramène Odilia à Bamila et rapporte le corps de Koumé à Tanga. Avant de partir, il fouille les poches de Koumé et y retire 15 000 frs. En attendant qu’on découvre le corps de Koumé, il se rend dans une église. Ne sachant pas encore la mort de Koumé, le prêtre rappelle que c’est le devoir de chaque chrétien de révéler où se cache Koumé. Il rappelle que toute personne détenant une information pouvant aider à son arrestation devait le confesser au révérend Kolmann après la messe, et que celui-là le fasse par amour du Christ et des hommes. Il rappelle aussi que la loi civile punit sévèrement la complicité tacite. A la sortie de la messe, arrivent les rumeurs de la mort de Koumé. Banda se joint à la foule. Il retourne ensuite à Bamila, remet les 15 000 à Odilia et, à la demande de sa mère, épouse plutôt Odilia.