Détruire le tribalisme en Afrique, construire la République de Fusion Africaine
Sous la coordination de : Yemele Fometio
Août 2018
Ce travail est mis à votre disposition gratuitement par le Département Panafricain de l’Education et de la Culture de la Ligue Associative Africaine. Il contribue à la Renaissance Africaine. Nous sommes convaincus que cette renaissance ne peut être assise que sur des savoirs solides et inattaquables.
Cette renaissance n’est pas possible sans un Etat unificateur solide et puissant, capable de fédérer toutes les aspirations du peuple africain à travers la planète. C’est pour cette raison que la Ligue Associative Africaine fédère les partis politiques, les syndicats et organisations des pays d’Afrique pour mener la Grande Révolution Panafricaine et proclamer la République de Fusion Africaine.
Ce travail entre dans le cadre de notre programme éducatif « Les études panafricaines » qui vise à former les cadres de la Grande Révolution Panafricaine dans les partis politiques et organisations membres de la Ligue Associative Africaine. Au-delà, il s’adresse à tout africain et toute personne désireuse d’avoir des connaissances solides et vraies sur l’Afrique.
Construire c’est faire un tout avec du divers, détruire c’est rendre un tout en ses différentes composantes. Les grands hommes surmontent les crises quand ils transforment les antagonismes en complémentarités. Les médiocres font crises quand ils transforment les complémentarités en antagonismes.
Gilbert Mboubou
Introduction
L’un des chefs de la Révolution camerounaise Castor Ossende Afana interpelait les africains sur les méfaits du tribalisme sur la Révolution. Le tribalisme est à la Révolution ce que le mal est au bien. C’est la principale faiblesse de tout mouvement qui s’engage à changer l’ordre des choses, à améliorer les conditions de vie d’un peuple déterminé. L’oppression et la dictature pour régner, ont besoin de diviser les peuples pour les empêcher de faire front et de se dresser contre elles. La Révolution de son côté pour triompher a besoin d’unir tous les peuples contre l’oppresseur commun. Le révolutionnaire est un unificateur infatigable. Le continent africain est constitué de milliers de tribus faibles. Les régimes incompétents installés à la tête de nos petits pays ont divisé les peuples pour mieux régner, ce qui a accentué le sentiment tribal au profit du sentiment national et continental. Les ethnologues, au lieu de chercher les éléments d’unité entre les tribus pour construire le sentiment national, se sont penchés sur la recherche des particularités, ce qui a davantage accentué le sentiment tribal. L’échec de l’Etat africain unitaire pensé par les pères fondateurs du panafricanisme a conduit à l’émergence de petits pays faibles, incapables de se prendre en charge, vivant sous la domination de l’extérieur. La seule solution à la situation du continent est le triomphe de la Grande Révolution Panafricaine que nous menons. Pour assurer ce triomphe, il est impératif de détruire les tribus et les petits pays et de construire un Etat continental grand, puissant, prospère, seul capable d’assurer à tous les fils et filles du continent des conditions de vie meilleure et un total épanouissement.
Ce travail est axé sur le tribalisme en Afrique. Il analyse ses causes, ses manifestations et les moyens de lutte contre un tel fléau.
I- Le tribalisme et la tribu
Castor Ossende Afana définie le tribalisme comme « une mauvaise ligne de pensée et d’action qui consiste à rechercher avant tout l’intérêt égoïste de sa propre tribu et de son clan. » Dans tribalisme il y a le suffixe « isme » qui veut dire primauté. Le tribalisme devient donc la priorité accordée à une tribu par rapport à une autre ou aux autres. Le tribalisme est négatif, car il renvoie à l’exclusion des autres, à l’opposition à ceux qui ne sont pas de la même tribu. Il n’est pas à confondre avec la tribalité qui est le sentiment d’appartenir à une tribu. La tribalité n’est pas négative. Mais dans la construction de la Fusion Africaine, le seul sentiment sera celui d’appartenir à l’Afrique.
La tribu quant à elle est une entité socio-politique occupant un territoire donné, existant avant la formation de l’Etat moderne. Elle est caractérisée par la reconnaissance des liens de parenté et de descendance communs à plusieurs familles. Cette définition a beaucoup de limites puisqu’au Cameroun, les bamouns et les bamilékés par exemple ont un ancêtre commun, mais appartiennent à deux tribus distinctes. Aussi, tous les êtres humains n’ont-ils pas un ancêtre commun. L’ancêtre commun que se réclament les tribus est la plupart de temps mythique. Quand les tribus tentent de faire leur généalogie, plusieurs se rendent compte de la nullité d’une telle théorie. On sait aussi comment ont été fondées la plupart les entités en Afrique. Cela a été pour beaucoup de cas le fait des chasseurs qui, assurant la présence constante de la viande au groupe, ont fini par s’imposer comme des chefs. Ces chasseurs parfois venaient de loin. Ce qui une fois de plus remet en cause le fait que la tribu soit fondée sur les liens de parenté.
C’est le fait culturel qui caractérise le plus la tribu (unicité de langue, de religion, des rites, de comportements, les mêmes systèmes de transmission de connaissances, les mêmes productions musicales, les mêmes arts culinaires et vestimentaires, la même littérature orale, les mêmes productions musicales, les mêmes réalisations architecturales, le même style artistique, les mêmes structures sociopolitiques et socioéconomiques, une histoire partagée…) Quand nous prenons le cas de la langue, nous savons qu’il y a des tribus qui ne parlent pas la même langue. Ils ne se comprennent pas souvent. C’est le cas des bamilékés du Cameroun. Bien que formant une tribu, ils parlent environ 30 langues différentes et ne se comprennent pas. Le bamiléké de Dschang qui parle le Yemba comprend à peine le Nguembalé du bamiléké de Mbouda et ne comprend pas le Mudjumba du bamiléké de Bangangte. Le cas des bamilékés n’est pas unique. Ce qui remet en question la langue comme élément de reconnaissance tribale. En plus, les travaux de Cheikh Anta Diop et de Théophile Obenga ont prouvé que toutes les entités noires ont une même origine linguistique et la différence linguistique n’est que la suite de l’adaptation. Conclusion, nous ne pouvons pas également nous baser sur la langue pour définir la tribu.
Concernant l’unicité de la religion, tous les Etats d’Afrique noire pratiquent la même religion. Il y a juste des différences de forme en fonction des entités, surtout en ce qui concerne les rites. Donc la religion n’est pas aussi suffisante pour caractériser la tribu. Concernant les autres (comportements, systèmes de transmission de connaissances, productions musicales, arts culinaires et vestimentaires, littérature orale, productions musicales, réalisations architecturales, style artistique) c’est sur ces éléments que les tribalistes s’appuient pour se justifier. Or ce sont des éléments très mouvants, qui s’adaptent au fil des temps et qui changent au contact des influences extérieures. La venue de la télévision, les migrations entre les peuples, l’influence de la culture occidentale ont relativisé cette exception culturelle tribale. La culture n’est pas statique, elle s’adapte au gré des événements, tout en conservant son fondement. Les comportements tendent à s’uniformiser, les systèmes traditionnels de transmission de connaissance ont été remplacés par l’école occidentale, la littérature orale tend à disparaitre. Les productions musicales tribales sont de moins en moins écoutées et beaucoup préfèrent suivre les musiques occidentales ou les musiques n’ayant pas de connotation tribale. Pour survivre, les musiques tribales sont obligées de s’adapter, d’être chantées en langues européennes.
Comme toute entité, ce qui caractérise la tribu est l’organisation sociopolitique, socioéconomique et une histoire partagée. Le fait culturel vient juste accompagner ces éléments en établissant une différence avec les autres entités, en agissant comme les emblèmes de la tribu. Vu sous cet angle, la tribu peut plus aisément céder la place à une structure plus grande. Il faut préciser que rares sont les tribus qui ont une autorité sociopolitique reconnue. Presque toutes les tribus sont constituées de multitudes de petites entités politiques, parfois s’affrontant mutuellement. Même l’histoire commune fait défaut à plusieurs tribus. La tribu est en fait un territoire décrété, regroupant une multitude d’entités politiques plus ou moins homogènes.
II- Les causes du tribalisme
1- Les raisons avancées par les tribalistes pour justifier le tribalisme
Les tribalistes que nous avons rencontrés nous ont donné plusieurs raisons : Reconnaissons que beaucoup de ces raisons tiennent en contexte de sous-développement.
Entre les tribus se sont établis les craintes, la méfiance et les préjugés divers. Certains sont convaincus qu’il y a du cannibalisme dans d’autres tribus et qu’on y mange les étrangers. De telles pensées à première vue semblent ridicules, mais dans un contexte où le tribalisme est institué et encouragé par les régimes politiques et où l’enclavement limite considérablement l’accès à la plupart des régions du pays, et où seule une infirme minorité de la population est instruite, un tel préjugé est accepté par plusieurs personnes comme étant vrai. Ces personnes les diffusent à leur tour, créant une peur mutuelle entre les tribus.
Pour les tribalistes, il n’est pas facile de faire confiance aux membres d’une autre tribu, sinon on risque d’être trahit. Pour eux seuls les membres de leurs tribus méritent leur confiance, parce qu’ils ne trahissent jamais. Et même s’ils le font, ils peuvent facilement accepter la douleur puisqu’il s’agit des membres de leurs tribus. Pour ces tribalistes, quand le membre d’une autre tribu est au pouvoir, il privilégie d’abord les membres de sa tribu ; L’idéal serait donc de faire tout et tout pour que ce soit un membre de sa tribu qui prenne le pouvoir. Dans plusieurs pays africains, les tribus se sont construites des préjugés et les tribalistes n’entendent pas se mélanger à d’autres tribus sur la base de ces préjugés.
Les tribalistes pensent qu’ils ne peuvent pas épouser une personne n’appartenant pas à leur tribu parce que cette personne ne pourra pas prendre soin d’eux comme les membres de leurs tribus, et ne pourra pas comprendre leurs croyances. En l’absence d’une culture nationale et d’une connaissance mutuelle, on est tenté de trouver une sympathie à cette thèse. Les familles craignent que la personne d’une autre tribu qui épouse leur fille ou fils ne parte avec des enfants dans sa tribu au moindre problème, ce qui les prive de leurs enfants. Ils avancent le fait que leur tribu a des mécanismes pour assurer certains contrôles. Dans la tribu étrangère, ils ne sont pas sûrs qu’il y ait des structures pour assurer la sécurité de leur enfant. Cet argument n’est pas à prendre à la légère puisque ces familles acceptent que leurs enfants épousent des européens. Ils affirment qu’ils sont plus sûrs de la sécurité de leurs enfants en Europe. C’est aussi parce que le système judiciaire de beaucoup de pays d’Afrique laisse à désirer, et la plupart de temps ce sont les tribus qui s’organisent pour assurer la sécurité. Puisque les tribus se méfient les unes des autres, la méfiance ici trouve sa justification. Les tribalistes s’appuient aussi sur les mythes, sur les conflits qu’ils ont eus avec d’autres tribus pour justifier leurs actions tribalistes. Ils accusent les autres tribus d’êtres à l’origine de la situation de misère sociale ambiante. Au-delà de ces raisons, le tribalisme trouve sa justification dans plusieurs éléments.
2- Les envahisseurs européens implantent le tribalisme
Ce qui est convenu d’appeler tribu aujourd’hui était constitué des entités politiques autonomes, avec leurs institutions, leurs systèmes économiques et judiciaires. Les envahisseurs européens qui s’installent en Afrique ont affronté la résistance des peuples d’Afrique. Les africains étaient déterminés à les expulser de leurs territoires. Pour pouvoir assurer la longévité de leur domination, les colons ont divisés les entités en tribus et les ont opposés les unes aux autres sous le prétexte de liens de sang et de culture. Nous avons montré comment ces arguments du lien de sang et de la culture ne tiennent pas. La division a été arbitraire. Le royaume du Kanem a été divisé en une multitude de tribus sans qu’on ne comprenne les critères qui ont présidé à une telle division. Les colons ont ensuite utilisé les tribus pour assoir leur domination. Maréchal Lyautey, un colon français, déclarait : « s’il y a des mœurs et des coutumes à respecter, il y a aussi des haines et des rivalités qu’il faut démêler et utiliser à notre profit en opposant les unes aux autres, en nous appuyant sur les uns pour mieux vaincre les autres. » Cette pensée de Maréchal Lyautey exprime clairement la vision qui a présidé à l’émergence des tribus : Nécessité de dresser les colonisés entre eux pour éviter une résistance coordonnée des entités.
En Europe, les tribus se livraient à des guerres sanglantes, et étaient généralement liés par les liens de consanguinité. Les envahisseurs européens qui prennent d’assaut le continent Africain à partir du XVe siècle arrivent avec cette mentalité et tentent de calquer les institutions africaines à ce modèle tribal. Ils ne pouvaient pas comprendre que les légères différences qu’ils voyaient entre les peuples d’Afrique n’étaient qu’apparentes et que les entités africaines ne s’excluaient pas. L’Afrique a depuis des millénaires une culture d’acceptation de l’autre. Dans l’Afrique précoloniale, on quitte sa tribu à une autre tribu en toute sécurité et on y est accepté comme membre entier de la communauté avec tous ses droits et tous ses devoirs. Ce qui diffère des tribus européennes où l’étranger était exclu, tyrannisé. On lui rappelait sans cesse qu’il est un étranger. Les envahisseurs, sans comprendre ce fait, se mirent à classifier les entités politiques africaines en tribus en exacerbant de plus en plus leur opposition. Plus de 4 siècles d’une telle pratique devait avoir des conséquences sur ces entités elles-mêmes, qui se mirent à agir selon la volonté des envahisseurs et à créer des barrières étanches avec les autres entités. Les Africains ont repris ces divisions arbitraires du colon comme élément de leur identité. C’est la création de la tribu qui génère le sentiment tribal.
Quand l’Europe réussit à soumettre l’Afrique, elle a besoin de mettre sur pied les structures administratives qui ne sied pas avec la logique des petites entités indépendantes d’Afrique. En plus des grands empires africains qui ont émergé sur le continent, dans plusieurs parties du continent, on rencontrait de petites entités politiques que le colon a regroupées en tribus. Ces petites entités politiques obéissaient au principe de liberté en Afrique. On ne trouvait pas juste qu’une entité tente par la force de détruire une autre ou de chercher à s’imposer à elle, d’autant plus que toute personne était acceptée dans n’importe quelle entité. Les envahisseurs ne pouvaient s’accommoder à un tel système. Ils devaient créer des Etats solides et répressifs. Mais ils ne disposaient pas du personnel, des moyens financiers et techniques et des forces répressives suffisantes pour assurer la survie de ces Etats. Ils avaient besoin des alliés parmi les colonisés. Ils sélectionnèrent d’abord quelques colonisés qu’ils formatèrent à la culture occidentale, puis les retournèrent parmi les colonisés pour briser moralement leurs résistances. En même temps, ils sélectionnaient les chefs des entités africaines soumis susceptibles de faire accepter la domination par leurs peuples et briser ainsi toute tentative de résistance.
En choisissant le chef, les envahisseurs étaient conscients du but visé. En Afrique, le chef n’était pas un simple dirigeant. Il était le représentant de Dieu dans son entité. En corrompant le chef, le colon avait brisé le soutien indéfectible de la population au chef et avait désorganisé la société. En étant l’allié des envahisseurs, le chef ne faisait plus l’unanimité dans son entité. Sa société, sans être préparé, perdait son modèle qui devenait un contremodèle. Cette logique détruisait l’esprit de groupe dans les entités africaines. Le chef choisit par le colon recevait des récompenses en fonction du rôle qu’il jouait dans la destruction de l’esprit de groupe dans son entité politique. Ce sont les chefs qui devaient désormais collecter les impôts, mobiliser la main d’œuvre pour les travaux de construction, et parfois les travaux forcés. La plupart de temps, ils exigeaient des impôts supplémentaires à leurs populations qui retournaient dans leurs poches. Les revenus que ces chefs recevaient en retour de ce service attisaient les rivalités entre les chefs d’entités. Dans leurs rivalités pour le gain, ils basculaient toutes leurs entités vers les luttes tribales. Tel chef en compétition avec tel autre pour le gain colonial appelait sa population à se méfier de la tribu de son concurrent. Les chefs commençaient à construire des préjugés sur les autres entités pour les écarter des gains. Les entités qui jusque-là étaient restés perméables devenaient de plus en plus fermées. Le tribalisme gagnait en puissance. Les envahisseurs avaient réussi une de leur plus grande prouesse en Afrique, celle de l’émergence du tribalisme. Ils ne pardonnaient pas aux chefs qui refusaient de collecter les impôts ou qu’ils collectaient une quantité insuffisante. A ces chefs, ils montaient leurs voisins qui les attaquaient parfois militairement, accentuant d’avantage le tribalisme. Aucune entité politique ne se sentait plus en sécurité et se refermait. Toute une philosophie allait accompagner cette fermeture. Les tribus cherchaient des arguments pour justifier leur particularité. Ils évoquaient l'unité clanique et culturelle, la communauté des traditions (fabriquée de toute pièce). La clef de la sécurité de la tribu se trouvait dans la collaboration avec le colon. Des milliers de chefs rebelles ont payé de leur vie le fait qu’ils aient refusé de collecter les impôts. En Afrique, les conflits ethniques commencent avec l’envahissement du continent et l’utilisation des entités africaines à des fins coloniales. Les razzias négrières avaient déjà amorcé ce processus de tribalisme.
De quelque manière qu’on la prenne, l’émergence du tribalisme est liée à la recherche du gain. Avec le commerce que l’Europe avait engagé avec l’Afrique avant son envahissement, les entités situées à la côte commençaient à souligner leurs particularités culturelles pour priver les autres entités des échanges avec l’Europe. Avec la colonisation, les emplois à la fonction publique se généralisent. Les entités entrent en compétition pour ces emplois. Les différences linguistiques et culturelles qui jusque-là étaient insignifiantes prennent de l’importance. Chaque tribu cherche à se démarquer des autres et montrer au colon sa particularité.
La colonisation européenne, en fondant un autre système étatique, change les mentalités des entités africaines. Le système politique africain était conçu pour qu’un homme ne domine sur les autres. Même le pouvoir du chef était contrôlé par une série d’organisations qui l’empêchaient de devenir tyrannique ou de profiter de son statut pour nuire aux autres. La société ne permettait pas à un individu de dominer les autres. Avec la domination, de personnalités dotées de pouvoirs étendus émergent, soumis au seul contrôle des envahisseurs. L’action des populations n’avait pas d’effet sur ces personnalités. Le chef ne dépendait plus des organes de contrôle de son entité politique, mais des envahisseurs. Même si les organes de contrôle tentaient de limiter son action, les envahisseurs étrangers lui assuraient sa toute puissance dans sa communauté. Le chef devenait facilement tyrannique. Les policiers et les fonctionnaires des impôts se trouvaient dans la même situation. La société qui jusque-là avait régulé les pouvoirs n’avait plus de prise sur ces nouveaux types de pouvoirs. Les possesseurs de ces pouvoirs en profitaient pour aider leurs amis et nuire à leurs ennemis. Chaque tribu avait désormais hâte de produire de tels fonctionnaires pour les utiliser contre leurs adversaires. Les fonctionnaires issus d’une tribu pouvaient facilement user de leur position pour nuire aux ressortissants d’autres tribus, ce qui justifiait la course pour avoir plus de fonctionnaires.
3- Les autres causes du tribalisme
La dictature et le manque de dialogue
Les problèmes de l’Afrique indépendante ont des origines dans son processus de décolonisation. On ne peut comprendre l’Afrique indépendante sans y retourner. En Afrique, la faible résistance des africains a fait que la décolonisation cède la place à une nouvelle colonisation. Face à la pression qui devenait de plus en plus forte, les colonisateurs, et en premier la France craignait de perdre définitivement le contrôle du continent. Ce qui leur priverait de vastes étendus de matières premières, d’une main d’œuvre abondante pour leurs entreprises et d’un grand marché pour écouler leurs produits. Pour rester maitre du jeu, ils ont détruit les vrais mouvements nationalistes et les ont remplacés par des faux. Ils ont assassiné ou évincé les principaux leaders qui voulaient une indépendance vraie et les ont remplacés par des leaders dociles, qui étaient chargés d’exécuter leurs ordres. Ces leaders ne sont pas aimés du peuple qui les méprise. Pour régner, ils sont obligés d’utiliser la force pour se faire respecter, et surtout de diviser leur peuple pour éviter qu’il ne se dresse contre eux. Ces leaders se sont succédés aux colons et ont exacerbé le tribalisme jusqu’à son point culminant. Ils donnent tous les privilèges à leur tribu, suscitant la révolte et la haine des autres tribus. Aidés par les colonisateurs qui les maintiennent au pouvoir, ils détruisent la vision commune de l’Etat.
L’action de la bourgeoisie africaine
L’oppression étrangère a désorganisé l’économie des pays opprimés et a imposé dans ces pays le système d’économie capitaliste. Ce système a fait émerger dans les pays dépendants une bourgeoisie nationale et compradore qui va accentuer le tribalisme. Le système capitaliste repose sur la recherche effrénée (sans frein) du profit et l’exploitation de la classe des travailleurs appelés prolétaires. Pour assurer leur bénéfice sans risquer les grèves et le soulèvement des prolétaires, la bourgeoisie africaine a aussi utilisé la méthode du diviser pour mieux régner en manipulant les consciences par le tribalisme. La bourgeoisie africaine a accentué le tribalisme en faisant ressortir les différences tribales pour masquer son exploitation. En recrutant les employés originaires de leurs tribus tout en lésant ceux d’autres tribus, ils accentuent le tribalisme. En cas de grève, ils utilisent les ressortissants de leurs tribus en leur disant que ce sont les étrangers qui veulent nuire aux intérêts de la tribu. Le ressortissant de la tribu qui organise une grève dans l’entreprise du membre de la tribu est considéré comme un traitre. On lui rappelle sans cesse que ce n’est pas à lui de faire cela. Qu’il laisse les autres qui détestent la tribu le faire. On lui rappelle que son honneur tribal serait de ne pas montrer aux autres tribus qu’on est divisé. Certains employés sont fiers d’être exploités par les ressortissants de leurs tribus, croyant défendre les intérêts de la tribu qui serait menacés par les autres. La plupart des entreprises en Afrique sub-saharienne sont des entreprises tribales. Presque tout le personnel est originaire d’une même tribu. Quand un employé non ressortissant de la tribu du bourgeois organise une grève dans l’entreprise, le bourgeois utilise le tribalisme pour briser le mouvement. Il rappelle aux ressortissants de sa tribu que les « étrangers » veulent détruire l’entreprise et les envoyer en chômage. Par cette méthode, la bourgeoisie accentue le tribalisme.
La forme de l’Etat
Ceux que les colonialistes imposent à la tête des Etats africains sont des paresseux. Ils n’ont pas pensé pendant des décennies la forme d’un Etat capable de fédérer les aspirations de toutes les représentations de la société. Ils n’ont pas étudié les sociétés qu’ils dirigent. Leur émergence à la tête du pays tient plus à leur trahison qu’à leurs performances politiques. Une fois au pouvoir, ils imposent l’Etat de type occidental, un Etat centralisé, utilisant les tribus et les chefs de la même manière qu’à l’époque coloniale. Il n’y a pas de remise en question de la société coloniale. Rien ne change, à part la race du dirigeant. Il n’est plus européen. Toute la structure coloniale demeure jusque dans ses plus petits détails. Presque tous les pays africains ont été confrontés aux guerres civiles, la plupart de temps tribales. Mais tel que les envahisseurs avaient exacerbé le sentiment tribal, il devient difficile à l’indépendance de penser l’Etat sans tenir compte de ces entités. Barthélémy Boganda est allé jusqu’à proposer les Ethnies Unies d’Afrique.
La formation de l’Etat n’a pas été la même en Afrique qu’en Europe. En Europe, l’Etat a été construit suite à la lutte des tribus, certaines ayant triomphé sur les autres et les ont assimilés. Ce qui réduisait les conflits tribaux dans la structure étatique. En Afrique, l’Etat moderne est une union de plusieurs tribus au sein desquelles les envahisseurs ont accentué les rivalités. Dans ce contexte, la résurgence du tribalisme n’est pas facile à éviter. Les tribus qui se sont rivalisées à la période de dépendance doivent apprendre à l’indépendance à vivre ensemble dans la superstructure étatique héritée de cette oppression. Pour le faire, la conscience tribale exacerbée à la période de l’oppression doit céder place à la conscience nationale. Cette transition ne se fait pas du jour au lendemain, et pour qu’elle puisse avoir lieu, des leaders transcendant les tribus doivent émerger dans les Etats décolonisés pour assoir une fois pour toute la conscience nationale. Mais la plupart des leaders qui ont émergés, comme nous l’avons vu, ont été mis en place par l’ancien colon qui ne voulait pas l’unité des tribus. Une telle unité et la prise de conscience qui allait suivre devait certainement conduire à une prise de conscience nationale et à la chute du néocolonialisme et ses hommes de main au pouvoir. En fait, nous n’avons pas encore réussi à construire de véritables pays. Nos Etats sont encore des confédérations de tribus.
La dictature de l’Etat
A la période coloniale, la société était divisée en deux : Les colons qui avaient l’administration, le contrôle des affaires et logeaient dans les villes propres, bitumées. Ils mangeaient des mets copieux, se faisaient servir par les colonisés qu’ils humiliaient, maltraitaient, contraignaient aux travaux forcés. En face d’eux il y avait les colonisés qui vivaient dans les bidonvilles, peinaient à manger, subissaient l’oppression des colons, pouvaient être arrêtés à tout moment et mis aux travaux forcés. Les colonisés regardaient les colons avec mépris, mais aussi ils les enviaient. Ils voulaient être à leur place, comme eux. Au milieu de ces deux groupes, il y avait des intellectuels que les colons avaient récupérés et les avaient façonnés à leur image. A côté des intellectuels se trouvent d’autres catégories d’assimilés, d’évolués ou autres. Cette catégorie intermédiaire que le colon avait façonnée était chargée de retourner au sein des colonisés pour à leur tour les façonner à l’image du colon, et porter les vertus des valeurs du colon. Cette catégorie était plus proche des colons que des colonisés. Elle avait intérêt plus que tous à voir la fin de la colonisation, non pas pour réformer la société, mais pour remplacer le colon avec tous ses avantages. Dans la société colonisée, il y avait donc ceux qui voulaient remplacer les colons et ceux qui voulaient révolutionner la société. Ce sont ceux qui voulaient remplacer le colon qui dans la plupart de cas ont été imposés à la tête des pays africains. La société africaine décolonisée avec de tels hommes n’était en fait que le prolongement de la société coloniale. Cette catégorie a continué à imposer la politique coloniale, avec ses méthodes brutales, sa police, bref sa dictature. Les peuples décolonisés étaient faibles devant une telle machine. Dès qu’ils ont tenté de se dresser contre de tels systèmes, l’ancienne métropole n’a pas hésité à intervenir militairement. Dans certains pays, les peuples ont réussi à renverser de tels dirigeants, mais l’ancienne métropole les a réimposé au pouvoir. Devant une telle force, les peuples, à défaut de l’affronter dans un combat où la victoire est très incertaine, ont retourné leur colère contre leurs frères. Ils ont retourné leur colère contre les autres tribus du pays qu’ils peuvent facilement affronter dans un duel, ce qui accentue le tribalisme, l’insécurité sociale, la criminalité dans les pays africains. Dans la plupart des pays africains, un gendarme, policier ou militaire peut tuer des civils sans provoquer une réaction sociale, par crainte de la riposte de l’Etat. Mais il suffit à un ressortissant d’une tribu d’assassiner ou de mépriser le ressortissant d’une autre tribu pour voir le risque d’un conflit tribal se présenter.
Les médias et le cinéma
Dans nos pays, certains médias sont devenus des moyens de guerre tribale. Ils diffusent des propos tribalistes et appellent à la haine tribale, parfois sans aucune sanction des organes de régulation médiatique. Par ce fait, ils accentuent la tendance tribaliste de leurs auditeurs ou téléspectateurs. D’ailleurs, le mot d’ordre de génocide au Rwanda a été lancé par la radio Milles collines. Ce génocide tribal a coûté la vie à presque un million de rwandais. Dans les médias européens, presque tous les problèmes de l’Afrique sont présentés sous un prisme tribal ou religieux. Même quand la tribu ou la religion n’intervient pas, ces médias réussissent à impliquer des tribus qui s’affrontent. Il s’agit de créer dans les pays africains qui suivent ces médias une certaine méfiance.
Dès qu’un citoyen est nommé à un haut poste de responsabilité, les médias vont dans sa tribu pour recueillir la joie des membres de sa tribu remerciant le président de la république d’avoir nommé un des leurs à ce poste de responsabilité. Les tribus qui regardent ce spectacle ont hâte de voir un des leurs occuper un tel poste, qu’il soit feignant ou pas. On ne regarde plus la capacité des citoyens, mais leurs tribus. Dans les films africains, on retrouve souvent beaucoup de stéréotypes tribaux. Jusqu’à très récemment dans les films nigérians, les ressortissants du Nord du pays, reconnus par leur vêtements et leur manière de parler, étaient ceux qui ouvraient le portail pour laisser entrer les voitures. Ce genre de stéréotypes à première vue semblent insignifiants, mais laissent des marques dans la conscience populaire, surtout, poussent à la réaction qui n’est pas toujours par le cinéma, mais parfois militaire. Ceux qui se sentent insultés veulent prouver qu’ils sont capables.
Le refus de reconnaitre le tribalisme et de le solutionner
Devant la réalité du tribalisme, plusieurs régimes en Afrique ont clamé l’Etat uni et indivisible. Mais la plupart de temps cette unité est un mirage. Dans les coulisses, les tribalistes mènent une guerre dure et meurtrière. Le refus de tenir un débat public sur le fléau fait que les sentiments tribaux, les frustrations liées au fait tribal s’accumulent et s’expriment dans tous les aspects de la vie (économique, sociale et politique). Le refus d’ouvrir un débat national sur la question permet aux tribalistes de mûrir leurs idées, à défaut d’une contradiction argumentaire solide pour les déconstruire et les empêcher de recruter des adeptes. La conférence nationale souveraine sur la question a le mérite, non de l’éradiquer complètement, mais de lui porter un coup dur. En niant le tribalisme, les frustrations s’accumulent et quand elles tentent de s’exprimer, elles s’expriment avec une grande violence. La négation du tribalisme ne conduit pas à la formation d'une nation unie.
L’oppression véritable d’une minorité
Nous avons vu comment les envahisseurs et plus tard leurs hommes de main ont exacerbé le tribalisme. Dans les pays en Afrique, presque toutes les tribus se disent menacées et ne se sentent pas en sécurité dans la République. Parmi ces tribus, il y a celles qui le sont réellement. La volonté de gagner les faveurs des envahisseurs avait poussé les tribus à des rivalités. Certaines sont entrées en guerre. A la fin de l’oppression, ces guerres restent vivaces. Le jeu politique est devenu le jeu tribal. La question ne se pose pas sur quel homme aura le pouvoir d’Etat, mais sur quelle tribu sera la victime de ce pouvoir. Certaines tribus qui s’opposaient aux autres ont profité du pouvoir d’Etat pour opprimer leurs tribus rivales. Ils ont exercé sur ces tribus une oppression politique en les privant des postes de responsabilité, économique en nuisant à leurs affaires économiques et culturelle en attaquant leurs faits culturels. Ce fait a contraint certaines tribus à un repli ou à une résistance qui a pesé sur les Etats africains. Certaines de ces résistances se sont transformées en conflits armés.
La misère et les mentalités
Dans plusieurs pays africains, la misère sociale est criarde. Plus de 70% de la population survit. La faim est très poussée et a cédé dans plusieurs pays à la famine, touchant des millions de personnes. Dans ce contexte de pénurie accentué par la corruption, les peuples se tournent vers les lieux de socialisation qui leur garantissent un minimum de sécurité sociale. Il s’agit principalement de l’église, des confréries islamiques et plus précisément les tribus. Ils se sentent plus à l’aise au sein de leurs tribus. Certains fonctionnaires de l’Etat privilégient les ressortissants de leurs tribus. La réussite du membre d’une communauté ou d’une tribu est un signe de joie pour les ressortissants de cette tribu parce qu’il va profiter de sa position pour sortir les autres membres de la tribu de la misère et du chômage où se trouve l’essentiel du pays. Il se doit de faire retomber sur la tribu les avantages liés à son poste. Ceci est une dette puisqu’en aidant les membres de la tribu, ils aideront aussi ses enfants et ses proches quand ils seront eux aussi dans une position privilégiée. Cette logique accentue à l’extrême la lutte de positionnement entre les tribus, portant le tribalisme jusqu’à son extrême. En Afrique, un administrateur qui ne profite pas de son poste pour donner des faveurs aux ressortissants de sa tribu est considéré comme un traitre dans la tribu. On le renie, le maudit. Lors des cérémonies culturelles dans la tribu, il est isolé. Ce fait est encore plus accentué en Afrique centrale où l’Etat est en faillite et n’existe véritablement plus. Au Cameroun par exemple, l’Etat est en brousse. Il n’existe qu’à la capitale Yaoundé. Dans l’arrière-pays, l’Etat n’existe qu’avec sa police qui brutalise, ses agents de collecte des impôts qui agressent, quelques fonctionnaires et son drapeau qu’on lève chaque matin, parfois il reste levé pendant des mois. Dans les communautés, il est absent. On a besoin de lui uniquement quand on a un problème (faire signer ses papiers, faire sa carte d’identité…) Ses lois ne sont presque jamais connues ou respectés. Aux yeux du peuple, l’Etat ce sont ses ministres et leurs voitures de luxe. Devant une telle faillite de l’Etat, les tribus prennent sa relève et jouent le rôle de socialisation. Dans la logique de rivalité accentuée à la période de domination, cette socialisation faite par les tribus ne peut conduire qu’à l’exacerbation du tribalisme.
La misère sociale et l’incertitude d’un lendemain meilleur créent la volonté de rechercher de coupables chez les autres tribus. Les tribus se rejettent mutuellement les responsabilités de la dégradation de la situation sociale. Parfois plusieurs désignent une tribu comme bouc émissaire de la dégradation de la situation sociale. Les frustrations sociales et la misère créent un climat de tension dans les pays africains où tout le monde a peur de tout le monde, facilitant l’exploitation étrangère. Dans plusieurs pays, les tribus se regardent en chiens de faïence, attendant juste l’occasion pour se déchirer. La misère sociale est le creuset des grands bouleversements sociaux. Elle crée une situation de colère latente qui, à tout moment, peut céder en violence générale et provoquer de grands bouleversements. Si ces bouleversements sont encadrés par une élite avisée, ils peuvent conduire à une révolution. S’ils ne sont pas encadrés, ce sont juste des révoltes qui ne changent rien à la situation. S’ils sont encadrés par l’extérieur avec l’appui des piètres politiciens et de la bourgeoisie, ces bouleversements aboutissent souvent à des guerres tribales et aux génocides.
L’action des piètres politiciens
Dans les pays africains, la plupart des politiciens s’avèrent incompétents. Ils ne sont pas à la hauteur d’un Kwame Nkrumah ou d’un Mouammar Al Kadhafi. Contrairement à ces deux grandq politiciens et aux milliers d’autres, la plupart des politiciens africains sont animés par leurs intérêts personnels, cherchent en vain le soutien du peuple qu’ils ne reçoivent pas. Le peuple n’est pas ingrat. Il sait reconnaitre celui qui se bat pour lui. Pour avoir quelques fidèles, ces piètres politiciens adoptent l’argument tribal, informent à leurs communautés que les autres sont contre eux et qu’il faut s’unir pour barrer la route à ces autres. Par cette politique, ils parviennent souvent à avoir des mairies et des députations dans leurs tribus respectives, mais ils ne parviennent jamais à former un parti politique national. En Afrique, rares sont les partis politiques qui parviennent à se libérer du caractère tribal pour devenir un véritable parti national. On a souvent l’impression que les partis au pouvoir sont des partis nationaux parce que ce sont des partis où les opportunistes de toutes les tribus en quête de faveurs viennent militer. Mais dès la perte de pouvoir, ces partis ressentent le poids tribal. Ne soyons pas pessimistes, il y a de nombreux partis nationaux en Afrique. Mais en termes de statistiques ils sont marginaux.
Les piètres politiciens qui jouent sur le fait tribal pour avoir des mairies et des députations rallient les fanatiques de leurs tribus à leur cause. N’ayant pas l’aura de leurs adversaires politiques, ils discréditent leurs tribus pour leur retirer les ressortissants des autres tribus. Ceci est d’autant plus grave qu’aucune sanction n’est généralement adressée contre ces piètres politiciens. Cette attitude ne menace pas seulement le vivre ensemble social, mais secoue les fondements de la Nation puisqu’elle se poursuit après les élections. La politique est certes une guerre sans effusion de sang comme le soulignait Mao Zedong, mais dans cette guerre, la tribu ne doit jamais être utilisée comme arme de combat.
Le manque de compréhension mutuelle
Les leaders façonnent les mentalités du peuple et agissent sur le comportement collectif du groupe. Ils peuvent rendre un peuple travailleur, paresseux, rebelle, soumis, en fonction de leur capacité et de leur aura. Le milieu géographique fait pareil. Certaines tribus sont naturellement destinées à produire plus que d’autres et à développer une certaine mentalité. Dans les zones sahéliennes par exemple et les autres zones de savane où les récoltes sont saisonnières, les habitants doivent conserver des graines en saison de moisson pour les consommer en période de culture, en attendant que les plantes poussent. Ce fait façonne en eux une mentalité d’économiste. S’ils courent le risque de ne pas garder des graines pendant les récoltes, ils mourront de faim à la période où les plantes poussent. Ils sont obligés de planifier, d’économiser. Le milieu leur impose cette mentalité. Ils ne peuvent pas se permettre de dépenser sans réfléchir. Ceci n’est pas le cas par exemple des habitants de la forêt où les aliments sont abondants en toute saison. L’habitant de cette zone n’a pas besoin de conserver des graines puisqu’il a à manger en toute saison. S’il conserve des graines, il sera ridicule. Les habitants de cette zone sont assez larges, de même qu’ils peuvent se permettre de dépenser sans trop réfléchir. Le tribalisme nait de la méconnaissance de ces réalités qui ont façonnés des mentalités différentes. Les ressortissants de ces deux zones qui ne prennent pas le temps de se comprendre vont se rejeter mutuellement des fautes, les uns accusant les autres d’être égoïstes et les autres accusant les uns de trop dépenser et de ne pas penser au lendemain. Les tribus s’appuient sur ces mentalités héritées des conditions naturelles et des leaders pour montrer leur différence avec les autres. La compréhension de ce fait et de beaucoup d’autres détruit le tribalisme et permet de construire la nation dans une logique de compréhension mutuelle.
La jalousie
Tout comme les êtres humains ou les animaux, les tribus n’ont pas les mêmes capacités. Certaines sont portées à faire plus de progrès que les autres. Devant ce fait, au lieu de considérer les prouesses des autres tribus comme celles de toutes la Nation et s’y reconnaitre fondamentalement, les tribalistes y développent des jalousies et n’attendent qu’une l’occasion pour détruire toutes ces prouesses.
L’éducation familiale de certaines familles
Dans ces familles, dès le bas âge, on apprend à l’enfant à haïr les autres tribus. On lui empêche de jouer avec les membres d’une autre tribu. Ce tribalisme inculqué et les préjugés tribaux agissent sur son subconscient et l’anime toute sa vie durant. Il apprend à se méfier des autres tribus et à faire confiance uniquement aux ressortissants de sa tribu. Il nourrit la haine, le mépris des autres tribus. L’enfant devenu adulte qui veut se départir de ces idées doit faire un travail immense, puisque ces idées font désormais partir de sa personnalité.
L’Anthropologie et l’ethnologie
Ces deux disciplines visent à étudier les traits particuliers des peuples, surtout ceux d’Afrique. Il s’agit en quelque sorte de rechercher les traits qui diffèrent les tribus africaines des autres. En faisant cette étude, les tribalistes trouvent leurs positions renforcées puisqu’il y a des sciences qui prouvent qu’ils sont différents des autres tribus. Ces disciplines mettent en péril le vivre ensemble. Il ne faut certes pas renier quelques particularités entre les tribus africaines, mais pour construire, il faut mettre un accent sur les points communs et non sur les points de divergence. Ces deux sciences sont grandement financées par les gouvernements européens qui octroient des bourses et des voyages aux étudiants qui s’y spécialisent. Par contre, le panafricanisme qui cherche à unir l’Afrique, et qui met l’accent sur les points communs entre les peuples africains ne trouve pas de financement des gouvernements européens. Il s’agit d’une politique de division du continent afin de l’empêcher de faire bloc pour défendre ses intérêts. Ces intérêts sont piétinés par les gouvernements européens qui ont tout intérêt à maintenir l’Afrique divisée. Toute politique de division du continent trouve l’adhésion des gouvernements européens tandis que toute politique d’unité trouve leur résistance. De quel côté qu’on le prenne, l’anthropologie et l’ethnologie sont néfastes pour tout peuple. Le fait de chercher à valoriser les exceptions des tribus africaines témoignent d’une grande ignorance de ceux qui se lancent dans cette initiative. Il est aujourd’hui clair : Cheikh Anta Diop, Théophile Obenga et leurs disciples ont prouvé que tous les noirs du monde ont un même socle culturel et que les légères différences visibles tiennent aux efforts d’adaptation lors des migrations. La religion est la même pour tout le peuple negro africain. Seules les légères différences liées aux efforts d’adaptation existent dans l’Amonisme et la culture africaine.
III- Les manifestations du tribalisme
1- Les comportements tribalistes
Personne ne se dit tribaliste, pourtant le tribalisme existe. Nous sommes tous les jours tentés par le tribalisme. Même nous dans la Ligue Associative Africaine, ses partis politiques, ses syndicats et associations luttons chaque jour pour ne pas céder au tribalisme. C’est une véritable lutte morale. Voici quelques comportements tribalistes que nous avons relevés dans les pays africains.
Le tribaliste parle sans cesse des bienfaits de sa tribu. Il parle de sa tribu partout où il se trouve. Tous les ressortissants de sa tribu qui sont aux postes de responsabilité ou qui ont réussi dans l’ascension sociale, il parle sans cesse d’eux. Il n’évoque jamais les défaites et les fautes des membres de sa tribu. A l’égard des gens d’autres tribus, c’est exactement le contraire qu’il fait. Il ne parle jamais de leurs réussites, mais insiste sur leurs fautes. Dès qu’il y a un problème dans le pays, il cherche la cause dans les autres tribus. Il accuse facilement les ressortissants des autres tribus, les méprise. Quand il est avec le ressortissant d’une autre tribu, il parle constamment de sa tribu pour créer une distance entre eux. Parfois il va plus loin et choisit ses amis uniquement dans sa propre tribu. Il ment sur les autres tribus, juste pour susciter la méfiance envers elles. Il grossit démesurément les fautes des ressortissants des autres tribus. Quand il veut parler aux ressortissants d’une autre tribu, il utilise le terme « vous les… ». Dès qu’il a un problème avec un ressortissant d’une autre tribu, il généralise à tous les ressortissants de cette tribu et appelle ses amis à se méfier d’eux. Il construit sur eux des images dégradantes et construit sur sa tribu des images de grandeur. Quand il est en face du ressortissant d’une autre tribu, il voit d’abord la différence tribale qu’il y a entre eux avant de voir l’humanité ou la nationalité qui les unit. Il pense que seuls les ressortissants de sa tribu peuvent mériter son soutien. Il s’oppose au mariage intertribal, mais accepte le mariage entre un ressortissant de sa tribu et un européen. Dans ses entreprises, il confie des postes de responsabilités aux ressortissants de sa tribu en qui il fait plus confiance. Pareil dans les services étatiques dont il a la charge. Il estime que ce sont les autres tribus qui sont tribalistes. Le tribaliste refuse obstinément de parler la langue d’une autre tribu, même s’il se trouve au sein de cette tribu. Il refuse de manger les mets des autres tribus, critique leurs valeurs culturelles. Quand il est hors de sa tribu, il ne cherche pas à s’intégrer, mais marque la différence entre les autres et lui avec qui il ne daigne se confondre. Dès qu’il y a un ressortissant de sa tribu qui se trouve avec lui dans une autre tribu, il s’attache à lui, le cherche constamment et fait de lui son principal allié. Quand il veut faire des achats, il préfère parcourir une très longue distance pour aller les faire chez le ressortissant de sa tribu, traversant les boutiques et magasins des ressortissants des autres tribus. Il ressasse sans cesse les conflits qu’il y a eu entre sa tribu et les autres tribus.
2- Les autres manifestations du tribalisme
Le refus de mariage intertribal
Plusieurs personnes poussent le tribalisme au point de refuser les mariages intertribaux, mais acceptent les mariages entre les ressortissants de leur tribu et les européens. Dans le lien qu’est le mariage, il y a échange de culture. Il y a mélange de culture et acceptation mutuelle. En refusant ce lien, les tribalistes n’entendent pas accepter les valeurs culturelles d’autres tribus ou de partager les leurs avec les autres tribus. Ils restent souvent esclaves des préjugés construits sur les tribus. Avec le mariage intertribal, plusieurs éléments culturels s’expriment et s’entremêlent. Le tribaliste qui veut voir triompher ses propres valeurs culturelles dans la société s’oppose au mariage intertribal. Pour ceux qui acceptent les mariages intertribaux, ils refusent que les filles de leurs tribus épousent les ressortissants d’autres tribus. Seuls les hommes peuvent le faire. Ils estiment que dans le lien de mariage, l’homme est dominant et peut facilement imposer ses particularités culturelles à la femme. Il s’agit en quelque sorte de dompter la fille de l’autre tribu par le ressortissant de sa tribu. Quand les tribalistes épousent une fille d’une autre tribu, l’une des premières choses est de lui rappeler qu’elle est désormais leur femme et qu’elle doit pratiquer leurs particularités culturelles. Les hommes sont souvent rebelles et ne peuvent accepter longtemps une telle colonisation. Raison pour lesquelles les tribalistes refusent de donner leurs filles en mariage dans une autre tribu.
La difficulté d’officialiser une langue nationale
Si des efforts et des victoires ont été remportés dans plusieurs pays africains qui ont réussis à officialiser une langue nationale, dans la presque totalité de l’Afrique, la difficulté reste entière. Cette difficulté est liée au tribalisme, chaque tribu voulant imposer sa langue sur les autres et refusant de parler celle des autres. Parfois les gouvernements préfèrent ne pas soulever la question par crainte de réveiller des pulsions tribales. Relativisons ce fait. Cette difficulté n’est pas seulement tribale. Elle est surtout liée à l’incompétence des régimes qui trônent en Afrique. Leurs politiques culturelles et linguistiques sont douteuses. Au lieu de faire des recherches fondamentales sur les langues nationales, ils préfèrent se complaire dans les langues étrangères disposant déjà de tous les attributs d’une langue moderne. Si le choix de la langue est justifié avec des arguments clairs, toutes les tribus seront prêtes à l’accepter. Il n’existe presque pas de politiques sérieuses de promotion des langues nationales. Pour qu’une langue puisse émerger en langue officielle, un travail sérieux doit y être appliqué pour qu’elle puisse traduire les réalités de la science et de la technologie moderne. Notre camarade Djoumene Mopi Kemet a produit un excellent article sur cette question (Une langue africaine ou camerounaise, c’est possible !)
Le choix des gouvernants de l’Etat
Le tribalisme se manifeste la plupart de temps sur le partage des postes administratifs. La plupart des gouvernements des pays africains ne considèrent pas l’Etat comme un édifice à construire ensemble, mais comme un éléphant à dépecer et à se partager. Or quand il s’agit de partage, les êtres ont tendance à utiliser les différences pour se tailler une grande part. Dans cette logique, les maigres ressources des Etats africains se trouvent dans les comptes bancaires des gouvernants, ce qui justifie grandement la situation actuelle des pays africains. Le choix des gouvernants est donc conséquent. Les présidents attribuent aux ressortissants de leurs tribus le plus de postes possibles pour qu’ils aient la possibilité de se tailler la plus grande part, ce qui accroit la résistance des autres tribus qui s’organisent pour conquérir le pouvoir d’Etat et se partager également les postes de responsabilité. La plupart de gouvernants, ne faisant pas confiance aux ressortissants des autres tribus, préfèrent se faire garder par les soldats ressortissants de leur propre tribu. La garde rapprochée de la plupart des présidents africains est constituée uniquement des ressortissants de leurs tribus. Ils croient être plus en sécurité parmi les leurs parce que c’est à leur tribu qu’ils offrent le plus de postes de responsabilité.
L’équilibre régional
Certains pays ont adopté l’équilibre régional pour faire bénéficier à toutes les composantes de la Nations des prébendes de la Républiques. Dans ce système, on définit le quota pour chaque région ou tribu dans l’administration publique. Certaines tribus se sentent personnellement visées par ces mesures tandis que d’autres se sentent avantagées. Mais au fond ce système accroit la division sociale. Il rappelle constamment aux citoyens d’un pays qu’ils sont différents et qu’ils sont considérés dans la République par rapport à leur appartenance tribale. Dans toute initiative où l’Etat est impliqué, dans les fiches, on demande sans cesse la tribu du citoyen. On lui rappelle constamment que c’est sa tribu qui détermine son entrée ou pas à un poste. Si les théoriciens de ce système évoquent la volonté de faire profiter toutes les composantes de la Nation des retombés du pays, l’équilibre régional sur le terrain crée beaucoup de dégâts. Les tribus qui se sentent lésés s’organisent, se replie sur eux et renforcent le sentiment tribal dans une république qui est « contre eux », qui cherche à « freiner leur évolution par ses lois ». Les tribus à qui on dit vouloir profiter le système se sentent insultées. Elles estiment que la république croit qu’ils ne sont pas à la mesure des autres tribus et pour les compétitions, il faut qu’elles soient avantagées. Les autres tribus se sentent supérieurs à elles, ce qui crée un repli sur eux dans une république où elles sont « insultées par les lois ». Dans plusieurs compétitions au niveau étatique, plusieurs ressortissants de ces tribus ont été en tête, mais leurs camarades des autres tribus leur répètent sans cesse que c’est à cause du système d’équilibre régional qu’ils ont été admis à la compétition. Un pays qui veut avancer doit tourner le dos à l’équilibre régional et ne considérer que le mérite comme critère d’évaluation dans n’importe lequel de ses échéances. C’est le principe que nous pratiquons dans la Ligue Associative Africaine et les organisations qui lui sont alliées. Nous préférons que toute l’administration est constituée par une seule famille capable au lieu qu’il y ait des systèmes de représentation qui n’apportent aucun résultat.
Le jugement des gouvernants en fonction de leurs tribus
Dès qu’il y a une nomination, la première question n’est pas posée sur les capacités du nommé à diriger, sur son programme, mais sur son origine tribale. Quand un ministre est élu, les médias et la plupart de temps les chaines de télévision nationale en Afrique vont dans sa tribu faire des reportages et montrent les ressortissants de sa tribu en joie, remerciant le président de la république d’avoir nommé un des leurs. Quand les autres tribus regardent ces images, ils ne considèrent pas ce dirigeant comme leur dirigeant, mais cherchent à faire nommer un des leurs qui sera leur dirigeant. A la fin de mandat d’un administrateur, les ressortissants de sa tribu ne lui demandent pas de rendre compte, et quand une personne d’une autre tribu le fait, ils considèrent cela comme un affront et se groupent derrière l’ex dirigeant pour le « protéger », qu’il ait détourné l’argent du pays ou pas. C’est la raison pour laquelle la plupart de temps les procès politique en Afrique prennent une connotation tribale.
Le remplacement des personnels dans les administrations
La plupart de temps dès qu’un dirigeant prend fonction, il réorganise son service sur la base tribale. Il nomme les membres de sa tribu à des postes de responsabilité et recrute d’autres membres de sa tribu pour surcharger le service. Son successeur viendra faire pareil, en freinant l’avancée des membres d’autres tribus et en favorisant celle des ressortissants de sa propre tribu. Les membres de sa tribu prennent de l’autorité dans le service qu’il dirige. L’arrivée de son successeur qui n’est pas de sa tribu est perçue comme une révolution dans le service. Une autre tribu prend de l’autorité dans la structure. Ce qui fait qu’en Afrique noire les services sont très tribaux. Ce qui accentue la lutte entre les tribus pour la nomination dans les postes de responsabilité. Dans les concours administratifs, ceux chargés du recrutement recrutent en majorité les ressortissants de leurs tribus, pareil pour ceux chargés des avancements. Plusieurs ressortissants de certaines tribus qui se sentent lésées dans la République donnent à leurs enfants les noms des tribus qu’ils estiment avantagées pour qu’au moment de recrutements, ils soient confondus aux ressortissants de ces tribus pour profiter avec eux du système de favoritisme en place.
De la prééminence de la tribu du président de la république sur les autres
Quand un président prend le pouvoir, nous l’avons déjà souligné, il nomme la plupart des responsables de sa tribu aux postes de responsabilité du pays. Sa tribu se considère dès lors comme supérieure aux autres. Cette situation est accentuée par l’impunité dont jouissent désormais plusieurs ressortissants de sa tribu. Dans le système judiciaire, c’est sa tribu qu’on rencontre. Sa tribu est toute puissante dans la République. Lors des élections, les autres tribus font tout pour faire élire un des leurs.
La demande sans cesse de l’origine tribale de ses concitoyens
Quand deux personnes viennent de faire rencontre, la question de l’origine tribale ne manque pas. D’ailleurs cette question ne manque jamais. Or entre les tribus, il y a une multitude de préjugés qui se sont construits. Dès que l’origine tribale est connue, l’interlocuteur ne juge plus son vis-à-vis en fonction de ce qu’il est, mais en fonction des préjugés construits sur sa tribu. Parfois, l’interlocuteur rappelle à son vis-à-vis les préjugés construits sur sa tribu. Ces préjugés sont presque toujours dégradants. Ceci crispe les relations sociales entre les citoyens. La tribu est présente partout dans les sociétés africaines. En ville, dans les bureaux administratifs, au lycée, on demande sans cesse l’origine tribale de ses amis et collègues. Par ses noms, on essaie de trouver son origine. Quand un leader politique émerge, la première réaction des citoyens est de connaitre sa tribu. Parler bien, avoir un bon programme n’est pas suffisant, il faut qu’on sache la tribu du leader qui agit.
Le caractère inamovible de la tribu
Parfois, n’ayant jamais connu notre tribu parce que nos ascendants ont résidé dans une autre tribu pendant une longue durée, on garde néanmoins à l’esprit la tribu d’origine et c’est à travers elle qu’on agit. La tribu où on est né et grandi ne nous considère pas comme un de ses membres. Pourtant nous avons adopté sa langue et ses traits culturels. Quand bien même la tribu hôte les accepte, ce sont parfois les tribalistes qui font des résistances et refusent de s’intégrer, restant soudés à une tribu qu’ils ne maitrisent pas. Ce dilemme est accentué par la société qui demande sans cesse l’origine tribale des citoyens. Les personnes dans la situation que nous venons de décrire sont donc dans un doute. Ils ont du mal à répondre puisque le fait d’appartenir originellement à une tribu leur permet de répondre en faveur de cette tribu. Mais le fait d’être né et grandi dans une tribu leur permet également de répondre par l’affirmative. Le système d’équilibre régional se bute à cette réalité. Parfois le père et la mère ne sont pas de la même tribu, les grands parents n’étant pas non plus de la même tribu et parfois même les arrières grands parents. Dans ce cas, le choix de la tribu devient difficile puisqu’on se trouve souvent impliqué dans plus de 5 tribus. Mais il faut mettre une tribu sur les papiers administratifs. Parlant du racisme, Frantz Fanon précisait que c’est une société qui est raciste, les racistes ne reprenant que le schéma de leur société. Cette conclusion est valable pour le tribalisme. Les sociétés d’Afrique noire sont des sociétés tribalistes. Il faut déconstruire ces sociétés.
Les organisations tribales
Dans les villes africaines se multiplient des associations tribales, départementales ou claniques. Ces organisations permettent aux ressortissants d’une tribu ou d’un clan qui se trouvent hors de leur tribu ou clan d’origine de se rencontrer, de s’organiser, de défendre et partager les valeurs culturelles de leur tribu ou clan. Ces organisations tribales renforcent le sentiment tribal et marquent une différence avec les ressortissants des tribus où ils se trouvent en leur montrant par leurs organisations qu’ils sont différents. Ce qui poussent les autres tribus à réagir et à s’organiser aussi par leurs organisations tribales. Or quand plusieurs tribus s’organisent, la crainte d’une rivalité entre les organisations devient grande. Ces organisations permettent aux ressortissants d’une tribu de compter prioritairement sur leurs frères de même tribu. Ce même sentiment se transpose lors des élections ou des recrutements. Ces organisations se transforment en organisations clientélistes. Les dirigeants du pays, ressortissants de la tribu font appel à ces organisations lors des recrutements en leur demandant de trouver quelques personnes à nommer ou à intégrer à la fonction publique de l’État. En retour, ces organisations soutiennent les ressortissants de la tribu lors des échéances électorales. C’est souvent dans ces organisations qu’émergent les futurs leaders politiques. Ces leaders n’oublient pas le sentiment tribal qui les a nourris dans ces organisations. Dans l’administration de l’Etat, ils ne font que répercuter les idées reçues dans les organisations tribales et claniques. Il faut néanmoins relativiser. L’euphorie de ces organisations témoigne en même temps la force du sentiment tribal en cours dans les pays africains et le manque de lieux de socialisation. Ces organisations constituent d’excellents lieux de socialisation où s’apprennent le leadership et le management. Une organisation qui n’est pas fondée sur une idée, mais sur l’appartenance à une aire géographique ou culturelle est une organisation d’exclusion et la plupart de temps n’a pas de lendemain.
Dans les partis politiques
Les chefs des partis en Afrique noire sont généralement des leaders tribaux ou d'associations tribales et l'implantation des partis est fortement influencée par la vision tribale de leurs leaders. Les ressortissants de la tribu du leader y adhèrent massivement tandis que les ressortissants des autres tribus adhèrent en compte-goutte. Ce qui fait que les partis ne parviennent pas à avoir une assise nationale. La plupart de temps, les bureaux du parti se trouvant hors de la tribu du leader sont mis sur pied par les ressortissants de sa tribu résidant hors de la tribu. Le projet de société des partis politiques intéresse très peu les citoyens. C’est l’appartenance tribale du leader qui est l’élément fondamental de jugement. Les partis politiques parfois sont obligés d’entériner ce fait pour conserver les militants de leur tribu et compter sur eux pour conquérir le pouvoir d’Etat. Les partis qui se démarquent de ce fait tribal sont des partis des intellectuels qui sont souvent sans partisans. Ce sont le plus souvent des petits groupes de débats appelés parti politique.
Pendant la période électorale, ce sont les leaders tribaux qui sont le plus en même de convaincre les ressortissants de leurs tribus, en s’appuyant généralement sur l’aspect tribal pour les rallier. De ce fait, leur force de mobilisation leur donne nécessairement du prestige dans le parti et leur fait gravir des échelons jusqu’à parfois la présidence du parti. Etant présidents du parti ou du pays, ils sont conscients que l’argument tribal est celui qui rallie le plus. Ils s'entourent prioritairement des frères tribaux n'ayant parfois aucun lien avec le parti. Ils effectuent leur premier voyage officiel dans leurs tribus.
Les hommes d’affaires financent les partis tribaux dirigés par les ressortissants de leurs tribus, tandis que les partis politiques qui refusent de s’intégrer dans la logique tribale manquent cruellement de financement pour faire connaitre leurs idées et changer de paradigme sociétal. Quand un leader a fondé un parti politique qui s’impose, les ressortissants de sa tribu pensent être ses héritiers naturels. Parfois ils se déchirent pour le contrôle du parti, mais ne laissent pas un ressortissant d’une autre tribu prendre la tête. Au Congo, les ressortissants de la tribu de Lumumba pensent être ses légitimes successeurs. Ils ont créé plusieurs partis politiques lumumbistes. Pour détribaliser les partis politiques, certains gouvernements africains ont imposé qu’il soit représenté dans le bureau du parti les ressortissants de diverses tribus. Mais cette logique ne peut résoudre le problème. Les partis politiques deviennent des clubs de représentations où on supplie des gens d’occuper des postes de responsabilité tandis que plusieurs personnes qui peuvent occuper ces postes en sont exclus à cause de leur appartenance tribale.
Au cours des élections
Dans l'isoloir, l’électeur fait face à un doute qu’il est difficile de régler. Il doit choisir entre le leader d’une autre tribu qui a un ambitieux programme politique et le ressortissant de sa tribu. A priori cette hésitation n’a pas sa raison d’être. Il faut voter le programme politique. Mais dans un contexte de tribalisme, l’hésitation trouve sa justification. Bien que les lois républicaines affirment que chaque citoyen peut se porter candidat au lieu de sa résidence, les résistances apparaissent souvent pour les candidats résidant dans la tribu, mais n’étant pas membres de la tribu. Leurs adversaires utilisent l’argument tribal pour les discréditer au niveau des électeurs. Ils sont souvent difficilement élus. Ce qui fait que les partis politiques préfèrent les candidatures des ressortissants d’une tribu qui leur offre plus de facilité de voir leurs membres élus.
Les expulsions diverses et les inacceptations
Si les lois républicaines des pays africains affirment et insistent sur le fait que chacun est libre de s’installer où il veut et quand il veut sans être dérangé, les réalités sont souvent différentes. Le concitoyen qui arrive dans une tribu qui n’est pas sienne est souvent considéré comme étranger. Parfois, certaines tribus expulsent les ressortissants d’autres tribus de « leur territoire » sous prétexte qu’ils sont des étrangers. Dès qu’il y a un problème dans la tribu, les étrangers sont les premiers visés et accusés d’être à l’origine du problème.
Le refus de consommer les productions des autres tribus
L’une des manifestations du tribalisme est le refus de consommer les produits du ressortissant d’une autre tribu du pays, et préférer des produits étrangers. Ce tribalisme se manifeste surtout dans les boissons. Dans les débits de boisson, les tribalistes refusent de consommer la boisson produite par un concitoyen sous prétexte qu’il n’est pas de leur tribu. Ce qu’ils oublient c’est que les bénéfices des boissons étrangères vont à l’étranger pour développer l’étranger. Les emplois sont créés à l’étranger et non au pays. Et tous se surprennent de la montée du taux de chômage, en oubliant qu’ils sont complices de cette montée. Dans les bibliothèques, les magasins et autres, les tribalistes recherchent exclusivement les produits des ressortissants de leurs tribus. A défaut, ils préfèrent consommer les produits étrangers. C’est l’une des raisons pour laquelle les entrepreneurs africains de la diaspora ont toujours le pas sur les entrepreneurs africains du terroir. Beaucoup d’entrepreneurs préfèrent aller investir ailleurs, ce qui accroit le taux de chômage dans les pays africains. Les étudiants sont souvent plus intéressés par la tribu de l’enseignant que par ses connaissances. Dans plusieurs universités africaines, les étudiants se plaignent du fait que les enseignants ne sont pas de la tribu où se trouve l’université, même si ceux qui sont devant eux sont des meilleurs, mais ne sont pas de leur tribu.
Les conflits tribaux
Les conflits tribaux sont la manifestation la plus sanglante et déshonorante du tribalisme. Ils interviennent à la suite des autres manifestations suscités. Ils sont également la plus grave conséquence du tribalisme. Le conflit tribal est le fait pour deux ou plusieurs tribus de prendre des armes pour s’affronter et s’entretuer. Le cas le plus sinistre en Afrique noire a été le cas du génocide Rwanda entre les Hutus et les Tutsis où près d’un million de rwandais sur 7 millions de citoyens ont perdu la vie en 100 jours de génocide. Le cas du Rwanda n’est pas un cas isolé. La situation dans plusieurs pays africains reste tendue et l’éventualité de conflits tribaux reste vivace.
Sommes-nous si tribalistes ?
Nous nous sommes attelés à présenter une situation qui menace les pays africains. Il faut certes relativiser. Tous les africains ne sont pas tribalistes. La conscience nationale, bien que rivalisée par la conscience tribale existe et s’impose au fur et à mesure. Les mariages tribaux se multiplient. Les tribus s’acceptent de plus en plus. Le vivre ensemble et les menaces externes contraignent les tribus à un vivre ensemble. Les plus méritants, qu’ils soient des tribus minoritaires ou pas, se font élire. Les résidents dans une tribu autre que la leur se font élire à des postes de responsabilité de cette tribu. Nous avons relevé toutes ces manifestations pour montrer la difficulté que crée le tribalisme. Cela ne veut nullement dire que les pays africains sont comme des agglomérations de tribus étanches qui ne se comprennent pas. Il faut aussi noter que les dynamiques de division tribales se butent parfois à la réalité qui rend nécessaire les alliances.
Dans la vie sociale où la famine, le manque de logement et l’insécurité grandissante menacent les peuples, la logique d’alliance devient nécessaire, surtout en ville. Chacun peut avoir faim et ne pas avoir de quoi manger, ou être attaqué par un bandit. Dans ce contexte, le soutien ne lui viendra pas des membres de sa tribu, mais de ses voisins proches, quel que soient leurs tribus. C’est pour cette raison que les voisins, tout en exprimant leur tribalisme envers les autres tribus, sont obligés de le tempérer, d’accepter leurs voisins. Pour contrecarrer ce fait, certains tribalistes ont créé des quartiers tribaux, où presque tous les habitants viennent d’une même tribu. Mais les villes se développant vite et les réalités échappant à certains théoriciens, ces quartiers se trouvent toujours imbibés d’éléments étrangers à la tribu. Leur seule présence impose une certaine acceptation tribale. Dans la sphère politique, toute personne qui aspire ou qui assure un poste de direction du pays, qu’il soit tribaliste ou pas, a besoin d’avoir une figure nationale pour pouvoir diriger facilement. Dans le domaine économique, les hommes d’affaire, qu’ils soient tribalistes ou pas, sont obligés de recruter les ressortissants des autres tribus de peur de voir leurs produits refusés sur le marché pour cause de tribalisme.
IV- Les conséquences du tribalisme
La peur mutuelle
L’une des plus grandes conséquences du tribalisme est la peur mutuelle que ce phénomène crée. Les citoyens d’un pays qui entendent construire ensemble la Patrie se regardent avec crainte, chacun ayant peur de l’autre. Ce climat de méfiance mutuelle est favorable à l’oppression extérieure et à la dictature d’une caste d’individu sur tout le peuple, puisque la crainte mutuelle empêche aux citoyens du pays de se lever ensemble pour protester contre certains abus et pour défendre les intérêts du pays entier ou du continent entier. Dans ce contexte de peur mutuelle, les tribus dominantes ou dont un des leurs est président de la république ont peur de la revanche des autres tribus contre eux. Ceux qui sont minoritaires ont peur d’être écrasés dans la république au cas où le tribalisme céderait à une crise sociale armée. Chaque tribu craint les autres. Dans certains pays, certaines tribus se préparent déjà à un éventuel affrontement avec les autres tribus.
L’échec des mouvements d’indépendances africaines
L’Afrique est le seul continent qui a connu l’échec de presque tous ses mouvements d’indépendance. Au-delà des autres causes qui justifient ce fait, la principale raison est le tribalisme. Déjà à la période coloniale, le tribalisme avait retardé la lutte pour l’émancipation des peuples africains. Il n’était pas facile, dans la logique de confrontation tribale, de faire front commun contre l’envahisseur étranger. La plupart des résistances à l’oppression coloniale avant la deuxième guerre mondiale ont été des résistances tribales. On peut citer la résistance des Mau Mau, des bayas et autres. Même la soumission de l’Afrique a été la plus facile à cause du manque d’un Etat central solide. Les petites entités politiques africaines ne pouvaient pas tenir devant la force de feu des envahisseurs, de même que les résistances tribales ne pouvaient pas venir à bout du colonialisme. Dans la logique de tribalisme, il était facile pour les colons d’acculer les mouvements nationalistes dans les résistances tribales. Les leaders nationalistes ont eu beaucoup de peines à constituer un mouvement national. Si on tente de reconnaitre le caractère national à ces mouvements, la réalité dans la plupart de cas était autre. Dans cette difficulté de constituer un front national, les envahisseurs ont profité pour utiliser les ressortissants des tribus les moins représentés dans le mouvement national pour briser le mouvement et imposer ses adversaires au pouvoir. La conséquence a été les fausses indépendances distribuées en Afrique. Les mouvements nationaux de leur côté, sentant les difficultés qu’ils avaient à constituer un front commun contre l’envahisseur étranger, étaient plus disposés à accepter les conditions des envahisseurs. C’est très rarement qu’ils ont pris les armes pour affronter l’envahisseur, tout en sachant que les difficultés de constituer un front national devaient jouer en leur défaveur et leur faire perdre la lutte. Le tribalisme les contraignait donc à une indépendance négociée, avec les conditions du colon. Une telle indépendance devait naturellement déboucher sur une nouvelle domination.
Les revendications incessantes et les protestations
Le tribalisme prend souvent l’allure de revendications incessantes, chaque tribu se sentant lésée dans la république, multiplie des revendications. Dans l’administration, chacun veut être solidement représenté. Ces protestations prennent souvent la forme de gourmandise, certaines estimant que par leur nombre ils doivent être les plus représentés. D’autres estimant que par leur niveau intellectuel ils méritent d’être les plus représentés, ce qui menace solidement le vivre ensemble nécessaire à la construction d’une Nation. Ceci accentue les protestations sociales qui nuisent à l’unité véritable du pays.
La déculturation globale
Le tribalisme entraine la haine mutuelle des rites et des particularités culturelles nationaux. Chaque tribu refusant les rites des autres et cherchant vainement à faire triompher les siennes. Or dans cette cacophonie de haine et de crainte mutuelle, aucune culture particulière ne peut se valoriser. Les tribus sont obligées d’adopter la culture étrangère qui s’impose, pour pouvoir contrer celle des autres tribus du pays. Le grand perdant dans ce jeu est la nation entière et toutes les tribus dont les faits culturels se détruisent chaque jour faute d’adeptes pour les porter. Or la culture occidentale est plus organisée. Parfois les citoyens d’une même nation ont peur d’exprimer publiquement leurs faits culturels de peur d’être taxés et jugés en fonction des préjugés construits sur eux. Ils préfèrent exprimer la culture occidentale qui fait l’unanimité et qui ne dévoile pas l’origine tribale de celui qui l’exprime. C’est à cette culture que presque toutes les tribus se reconnaissent pour échanger et se comprendre. La nation en Afrique noire n’est que l’expression de la culture occidentale servant de trait d’union. Dans le cinéma, pour paraitre unificateur, il faut adopter la culture occidentale et cacher au maximum ses traits tribaux pour espérer vendre ses films dans la république. Les films qui mettent en exergue la culture occidentale font l’unanimité.
IV- Les moyens de combat du tribalisme
1- Pourquoi combattre le tribalisme ?
Au-delà de ses conséquences que nous avons notées, tout mouvement progressiste africain qui se donne pour mission de changer l’ordre des choses et rétablir la justice sociale trouve sur son chemin le tribalisme. A la période des indépendances, le nationalisme africain a rencontré le même problème sur son chemin. Il est la raison principale de l’échec de presque toutes les révolutions africaines. Dans la construction de la République de Fusion Africaine à travers la grande Révolution Panafricaine, la Ligue Associative Africaine, ses partis politiques, ses syndicats et associations trouvent sur leur chemin le même problème. Il est donc urgent et nécessaire de penser aux moyens de résoudre le problème afin d’assurer le triomphe de la révolution panafricaine, seul gage du futur du continent. Le tribalisme empêche une action commune et concertée pour faire face aux problèmes communs de notre temps, or la Révolution et les mouvements progressistes ont pour rôle de fédérer autant de personnes que possibles autour d’une action commune pour résoudre les problèmes du temps. Ce qui fait que le tribalisme entre en contradiction avec la Grande Révolution Panafricaine. Détruire le tribalisme devient un impératif pour le triomphe de la Révolution Panafricaine. Qu'on le veuille ou non, qu’on cherche à le cacher ou pas, le tribalisme est un fait social et politique qui a fini par faire partir de la personnalité africaine. Le combat contre ce phénomène ne sera pas facile. C’est un combat de tous les jours. C’est pour cela que les organisations de la Ligue Associative Africaine y consacrent un temps considérable lors de la formation de leurs cadres. Même les cadres des organisations de la Ligue Associative Africaine, vivant dans une société minée par le tribalisme, doivent se battre au quotidien pour résister contre ce fléau. Le tribalisme est présent dans tous les aspects de la vie des pays africains (politique, économie, société, religion). Face à cette situation, beaucoup ont pensé qu’il faille s’appuyer sur ce fait pour bâtir une nation africaine plurielle. Mais « on ne s’appuie pas contre un arbre à épines quand bien même on aurait besoin de son ombrage lors de la fatigue ».
Le tribalisme nous empêche d’avancer, de nous développer, et nous retarde par rapport aux autres peuples. Tandis que les nations relativement homogènes comme l'Allemagne, l'Angleterre, le Japon, l'Inde et la Chine font de grands pas en avant dans leur progrès, nous peinons à nous nourrir, à nous soigner. Les autres continents sont sur le point de dépasser le niveau de l'Etat national pour construire les Etats continentaux tandis que nous ne parvenons pas à consolider des Etats nationaux grâce au tribalisme. Le combattre devient une nécessité urgente. On parle de plus en plus de mondialisation, du village planétaire. Ce village se construira, ce n’est qu’une question de temps. L’Etat mondial existera. Dans cet Etat, qu’auront nous à offrir si par le tribalisme et notre haine mutuelle nous parvenions à détruire tout ce qui nous reste de culture. Nous retournerons aux autres ce qu’ils nous ont donné. Ce qui fait que nous n’aurons aucun poids dans cette nation planétaire. Nous serons encore la victime à cause du tribalisme que nous adoptons et à cause de la haine et de la méfiance mutuelle que nous portons entre nous les enfants d’Afrique.
2- Les moyens de combat
Les mariages interethniques
Cette méthode a été utilisée par la plupart des mouvements anticoloniaux en lutte contre l’envahisseur étranger, et sentant la nécessité de réunir autour de leur combat tous les éléments de la population pour triompher sur les forces coloniales européennes. Cette nécessité s’opposait au tribalisme qui tendait à transformer les mouvements nationaux en mouvements tribaux faibles, incapables de résister contre l’envahisseur. Pour les leaders des mouvements anticoloniaux, il fallait détruire ce fléau, détruire les préjugés tribaux et montrer au peuple que ce sont de simples préjugés. Pour cela, il fallait prêcher par l’exemple. Dans le cas de l’UPC (Union des Populations du Cameroun) en lutte contre le colonialisme français, ses principaux chefs ont épousé les ressortissants d’autres tribus pour montrer l’exemple au peuple camerounais. Il s’agit des vice-présidents Félix Roland Moumié, Ernest Ouandié et Abel Kingue, à qui on ajoute Moukoko Priso qui a pris plus tard la tête du parti, devenu UPC-MANIDEM. De tels exemples ont été multiples dans ce parti et dans presque tous les mouvements nationaux africains. Même pour résoudre leurs mésententes, les entités politiques africaines avaient recours à cette méthode. Chaque entité donnait ses filles en mariage dans l’autre entité pour consolider leurs liens.
Les mariages interethniques permettent non seulement de faire tomber les préjugés tribaux et faciliter la cohésion sociale, mais aussi ils sont un moyen d’échange intertribaux et source d’enrichissement mutuel entre les tribus. Ils favorisent l’émergence d’une identité nationale et le vivre ensemble, l’unité de destinée. Toute la gloire revient donc aux théoriciens de cette manière de pensée.
L’Egyptologie
L’Egyptologie, et plus particulièrement les travaux de Cheikh Anta Diop, de Théophile Obenga et de leurs successeurs africains nous apprennent, avec preuves à l’appui, que toutes les civilisations africaines ont une même source, que toutes les langues africaines ont une même origine et que tous les africains ont une même origine. La seule connaissance de ce fait invalide toute action tribaliste, puisque les différences culturelles perceptibles ne sont que des différences de forme, liés au souci d’adaptation et à l’action de l’envahisseur. Le fond culturel africain est le même, avec une unicité de croyance. L’histoire africaine nous apprend que les entités politiques ont vécu dans la paix. Les conflits étaient presqu’inexistants. L’Afrique n’a pas connu de guerres culturelles, de guerres de religions, de guerres de cent ans et de trente ans et autres. Le continent s’est trouvé impliqué dans les deux guerres mondiales parce qu’il était sous la domination des envahisseurs. Nous pouvons retourner dans notre passé et chercher ce vivre ensemble qui nous a toujours caractérisé, et tourner ainsi le dos au tribalisme. Les entités politiques africaines étaient jadis perméables, chacun étant traité dans n’importe quelle entité politique comme un citoyen à part entière, qu’il soit étranger ou pas. Le devenir du continent réside actuellement dans l’unité et la destruction des tribus pour céder la place à l’Etat continental.
Avec plus de 4 siècles de dénaturation des entités politiques africaines, il n’est plus possible de retourner à la logique de la perméabilité des entités politiques africaines. A chaque fois, le tribalisme va s’imposer. Le repli tribal à tout moment surgira. Il faudra encore environ un siècle ou deux, en fonction des acteurs présents, pour retourner à la perméabilité d’antan. Le chemin le plus aisé est de tourner le dos résolument à la tribu et de construire une nation qui intègre les éléments des différentes tribus. Ceci est la voie la plus sûre pour résoudre le problème du tribalisme. Une telle entreprise ne peut certes pas se faire sans résistance. Les résistances sont partout. Mais un projet bien ficelé dans ce sens réduira les résistances des populations. Il faut retourner dans l’égyptologie pour perpétuer le patrimoine collectif culturel et spirituel originel africain, qui fait de l’Afrique noire un ensemble culturel homogène, au lieu de chercher à tout prix les faits culturels particuliers qui relèvent de l’adaptation. Naturellement cette culture africaine authentique originelle doit s’intégrer dans la logique de l’évolution et s’intégrer dans l’évolution actuelle puisqu’une culture n’est jamais statique. Elle est en perpétuel mouvement.
Il faut cependant étudier l’Egyptologie non pas pour se complaire dans un passé sans lendemain, mais pour y puiser les éléments nécessaires pour construire le présent et le futur. Une mère dont l’enfant meurt de faim dans ses mains n’a pas besoin d’une civilisation africaine millénaire ayant civilisé le monde entier. Elle a besoin qu’on résolve son problème présent et qu’on anticipe sur ses problèmes futurs, et s’il faut invoquer le passé, c’est pour y trouver des solutions.
L’éducation
Il faut à l’Afrique une nouvelle éducation, mettant un accent sur les éléments qui unissent les peuples africains, un système éducatif qui combat les divisions sociales, et en priorité le tribalisme. Ce système éducatif doit insister sur l’unité originelle entre tous les peuples négro-africains, pour détruire les retranchements des sentiments tribalistes. Il doit insister sur le fait que les peuples africains ont tous connu les affres des envahisseurs étrangers et qu’ils affrontent actuellement pratiquement les mêmes problèmes. Or les peuples qui ont les mêmes problèmes doivent mettre de côté tout ce qui les divise pour s’unir afin de résoudre ces problèmes. Les peuples africains connaissent tous la misère sociale, ils ont tous un passé colonial, ont les mêmes besoins d’une véritable démocratie, de l’amélioration de leurs conditions de vie, de compter dans un monde qui les opprime, de voir leurs enfants vivre mieux. Ils sont confrontés aux mêmes difficultés existentielles, et sont tous opprimés par les puissances étrangères. Leurs économies sont restées presque toutes des économies de traite, consistant à vendre les matières premières pour acheter les produits manufacturés. L’éducation doit insister sur ce fait et la nécessité de l’unité du continent, la nécessité de tourner le dos à tout ce qui empêche cette unité, puisque c’est la seule solution qui s’offre à tous les peuples d’Afrique.
Durcir les lois sur le tribalisme
Parallèlement au système éducatif, les gouvernements doivent durcir les sanctions contre les actes de tribalisme afin de réduire ces actes au maximum dans le pays. Les gouvernements n’ont pas le choix. Nous vivons dans un monde où chaque acte de faiblesse d’un pays entraine ipso facto sa soumission par les Etats impérialistes. L’Afrique toute entière est sous domination étrangère, ce que certains ont appelé le néocolonialisme. Pour résister contre ces puissances impérialistes et garder la souveraineté du pays, les pays africains n’ont pas de choix. Ils doivent maintenir une grande unité à l’intérieur, afin de pouvoir mieux résister à l’impérialisme. Les impérialistes utilisent les failles à l’intérieur pour pouvoir s’imposer sur les pays. Tout pays qui souhaite garder sa souveraineté doit être uni à l’intérieur afin d’empêcher aux puissances extérieures d’utiliser les tribus pour détruire les pays et profiter pour s’y imposer. Le fait que le tribalisme soit autant exacerbé en Afrique, est aussi une volonté des puissances impérialistes qui les utilisent pour s’imposer. Ils n’ont aucune raison de voir les pays soumis unis, ce qui risque de nuire à leur oppression. Pour contrer, les pays dépendants doivent durcir les lois sur toute tentative de division sociale afin de maintenir l’unité du pays pour mieux résister aux forces de l’oppression.
Cesser de demander l’origine tribale des autres
Cette logique est celle adoptée par la Ligue Associative Africaine, ses partis politiques, ses syndicats et ses associations. Elle a pris des mesures strictes contre ses membres qui demandent les origines tribales, religieuses ou régionales de leurs camarades. Des préjugés ont été faits sur les tribus. Chaque tribu a construit un imaginaire négatif sur les autres. En demandant la tribu de l’autre, on ne peut pas le juger de manière logique. Le jugement qu’on lui porte est celui que la société a construit autour de sa tribu. Toute organisation qui met un accent sur l’origine tribale de ses membres est une organisation contrainte à la chute. Elle ne peut pas tenir longtemps. Toutes les organisations qui se sont imposées dans l’histoire sont celles qui ont ignoré l’aspect tribal et ont consacré leurs énergies sur l’objectif qu’ils se sont fixés. Les responsabilités dans l’organisation ne tiennent qu’aux capacités des membres.
Basculer la tribu dans la logique d’évolution ou la remplacer
Toute structure ou toute organisation qui ne s’adapte pas à l’évolution sociale de son milieu est appelée à disparaitre. Elle se cantonne dans des idées passées qui refusent de s’actualiser, se détruit petit à petit et sa présence n’est plus que le reflet d’une époque révolue. C’est dans ce contexte que se trouvent les tribus et les entités politiques africaines actuelles. La colonisation et l’ethnologie les ont conduites dans une sorte d’exception culturelle par rapport aux autres tribus. Ils sont jaloux de cette différence et font de leurs faits culturels, des traditions et des coutumes fermées qui refusent d’évoluer. Or toute société qui veut survivre est évolutive.
La situation actuelle où se trouvent les tribus africaines n’arrange personne. Les jeunes ne s’y retrouvent pas et refusent de se conformer totalement à ces entités qui sont dépassées. Ces entités sont la plupart de temps assis sur des socles religieux. Les citoyens qui se trouvent dans une tribu et ne pratiquent pas la même culture ne s’y reconnaissent pas. Même les ressortissants de la tribu qui ne pratiquent pas la même religion se sentent exclus de ces entités politiques. Le caractère héréditaire de ces entités accentue l’exclusion des citoyens. Dans la république, chaque citoyen doit pouvoir occuper n’importe quel poste en fonction de ses capacités. D’où la nécessité de réformer ces entités, de les moderniser et de les basculer vers la modernisation. Ils doivent être accessibles à tous et se départir de leur socle religieux. La religion peut se réorganiser autrement, et se doter de ses propres structures, au lieu de s’accrocher à une entité politique africaine en chute. En cas de résistance, il faut les laisser continuer leur détérioration et créer à côté d’elles des organisations jouant le même rôle et donner tous les pouvoirs à ces structures administratives et sociales. Une telle initiative va détruire le sentiment tribal et contribuer à la création d’une culture nationale ou africaine à travers les éléments des défuntes tribus. On ne peut pas prétendre détruire le tribalisme en laissant intact son socle, en laissant intactes les entités politiques et les tribus qui les sous-tendent.
Il faut détruire la tribu pour construire la nation. Les deux entités ne peuvent pas cohabiter dans la République sans entrer en conflit, sans que le sentiment tribal ne tente de prendre le contrôle sur le sentiment national. Chaque tribu ne pouvant pas faire exprimer ses faits culturels particuliers, la seule culture qui profite de la multiplicité des cultures est la culture occidentale, plus organisée et ouverte sur le futur. Tandis que les tribus se sont fermées sur le passé. Dans le village planétaire, l’Afrique ne doit pas s’exprimer par des milliers de ses cultures cherchant toutes à s’exprimer, ce qui fera la cacophonie. Il nous faut aller avec une culture authentique qui est la résultante de toutes les cultures particulières.
Les ethnies Unies d’Afrique de Boganda et ses limites
Face à l’influence et la nocivité du tribalisme dans les sociétés africaines, Barthélémy Boganda a proposé la création des Ethnies Unis d’Afrique. Pour lui, face aux difficultés que les pays africains éprouvaient pour construire les Etats Unis d’Afrique prôné par Kwame Nkrumah et d’autres panafricanistes, il faut centrer l’attention sur ce qui fait problème, en particulier la tribu. La fédération des ethnies en un Etat continental permettrait l’expression de toutes ces ethnies.
Ce rêve, certes hautain, a plusieurs faiblesses. En Afrique, il existe plus de 3000 ethnies. Les unir dans un Etat continental ne serait pas facile, puisque chacun devra garder une autonomie interne et un territoire précis. Ceci donnera la possibilité au tribalisme d’être légal. Les tribus, dans une logique de confrontation créée par les envahisseurs trouveront les moyens légaux de se dresser contre les autres. Les conflits territoriaux seront exacerbés entre les tribus. L’assemblée nationale sera très vaste avec la représentation de plus de 3000 tribus. Les tribus situées dans les zones riches édicteront des lois pour évincer les autres nationaux de ces territoires. Dans les tribus où les étrangers sont majoritaires, la lutte sera intense.
Résoudre le problème politique dans les pays africains
Au sortir de toute notre analyse, un constat est clair : Le tribalisme n’est que la conséquence de la situation politique des pays africains. Résoudre le premier contribue à éradiquer le second. Les pays africains doivent basculer dans la démocratie. Pour cela, ils doivent rompre avec l’influence extérieure qui leur impose les décisions à prendre et les actions à mener. Ils doivent être indépendants, réfléchir eux-mêmes des solutions aux problèmes des pays et prendre eux même des décisions pour les solutionner, sans aucune influence extérieure. Ceci ne peut que passer par une révolution continentale qui va créer une rupture radicale avec les leaders incapables imposés de l’extérieur à la tête des pays africains.
Possibilité de choisir sa tribu librement
Pour mieux consolider l’unité nationale, les citoyens devraient être libres de choisir leurs tribus et d’y être accepté. Cette logique permettra de desserrer l’étau tribal, d’uniformiser les cultures et de favoriser une acceptation mutuelle. La tribu ne doit plus être assignée, mais adoptée librement en fonction des préférences de celui qui veut faire le choix. La tribu doit être comme la nationalité et la religion où les choix sont individuels.
La logique marxiste
Pour les marxistes, le tribalisme est une politique utilisée par les riches pour diviser et opprimer la classe prolétarienne qui se bat pour sa survie et pour l’amélioration de ses conditions de vie. La conscience d’appartenance à une même classe devrait supplanter et détruire le tribalisme, unifier tout le peuple contre ses oppresseurs. Une telle logique est très vraie. Nous avons vu plus haut que les bourgeois utilisent le tribalisme pour détruire les organisations et les revendications des ouvriers. Mais cette logique est juste seulement si un effort est fait pour former politiquement le peuple, en occurrence les travailleurs. Au final c’est le peuple qui est le moteur de l’histoire. S’il est bien formé, il peut transcender ses divisions et reprendre son destin en main, mais s’il n’est pas formé, il ne pourra pas transcender ses divisions.
Opposer à la tribu une autre organisation
La tribu n’est pas seulement une organisation. Elle est d’ailleurs très rarement une organisation. La tribu est une idée conçue et véhiculée par des mythes, des chants, des récits et tout cela accompagné de rites bien choisis. C’est un système, avec des entités politiques déterminées qui la composent et qui la font vivre. Pour la combattre, il faut lui opposer un système plus fort, plus englobant. Pour donner sens à cette nouvelle organisation, il faut créer ses propres coutumes, inventer ses chants et ses danses, établir ses règlements et ses lois. Il faut une grande propagande pour pousser le peuple à adhérer à cette nouvelle conception, à cette nouvelle organisation. La tribu tient surtout à cause des mythes fondateurs. La nouvelle organisation doit également façonner ses mythes, ses lieux de socialisation, ses mécanismes d’entraide… Il faut provoquer des émotions partagées, le sentiment collectif. Le tribalisme est une idéologie et généralement la force détruit rarement une idéologie. Au contraire, la force la renforce. Il faut opposer au tribalisme le panafricanisme qui est aussi une idéologie.
Le respect mutuel
Le respect est la base de toute socialisation. La socialisation ne commence que quand des individus décident de sacrifier une partie de leur liberté pour celle du groupe, décident d’accepter les autres et de les respecter. Rien ne se construit sans le respect. On peut ne pas être aimé, mais quand on est respecté, on se croit aimé. Dans une société qui juge ses citoyens par leur appartenance tribale, l’unité ne peut se construire puisque les préjugés construits empêchent le respect mutuel qui est la base de la cohabitation. Respecter une personne c’est lui faire ce qu’on aimerait qu’il nous fasse. C’est s’acharner à ne rien faire qui puisse le contrarier. C’est oublier sa religion, ses croyances, sa tribu et le considérer uniquement comme un semblable. Si en retour l’autre nous rend le même respect, le tribalisme ne trouvera pas un terrain d’expression et disparaitra. Refuser de respecter l’autre, le qualifier, le surnommer, l’opprimer est le premier pas vers le tribalisme.
Le coté image
Pour façonner la nouvelle culture dont nous avons parlé plus haut dans ce travail, il faudra utiliser les nouvelles technologies de l’information qui s’imposent actuellement : Internet, la publicité, les films, les blocs-notes, les romans, les ouvrages, les bandes dessinées… On retient plus vite les images et on cherche à s’identifier aux héros ou leaders que ces images renvoient. Si ces héros sont des tribalistes, toute la société sera tribaliste. S’ils sont des nationalistes ou des panafricanistes, toute la société tendra à les imiter et deviendra panafricaniste ou nationaliste. L’image attire plus vite et reste plus longtemps dans la mémoire. C’est pour cette raison que les pays socialistes contrôlent les images que leurs citoyens reçoivent. Les Etats doivent donc sanctionner fermement tout film ou toute émission qui prône de quelque manière que ce soit le tribalisme et encourager ceux qui prônent le panafricanisme ou le nationalisme.
La multiplication des hauts lieux
Par haut lieu, nous entendons des lieux où des gens se rencontrent pour débattre, pour discuter, pour travailler ensemble. Ce sont des salles de conférences, des lieux de débats, des Brain trusts et tout autre lieu où on se rencontre pour discuter. La force de ces lieux est qu’ils accueillent toute personne indépendamment de ses origines. Dans ces hauts lieux, les plus grands débatteurs sortent du lot indépendamment de leurs origines tribales. Dans ces lieux, il est possible de s’identifier à l’autre, de le comprendre, de jouer avec lui, de rire avec lui ou de pleurer avec lui. Ces moments, surtout ceux de joie et de chagrin, sont les plus marquants de la vie des individus. En partageant ces moments, s’estompent les différences dans l’esprit, les ponts disparaissent. Le tribalisme se construit plus dans la solitude. Le contact permanent brise les mythes construits autour des autres.
Agir sur les enfants
Parlant du racisme, Frantz Fanon avait conclu que c’est à l’enfance qu’il se construit. Il est urgent comme nous le suggérions plus haut de faire des films pour enfants, des bandes dessinées pour enfants ou des dessins animés qui détruisent de la tête des enfants le tribalisme. La société africaine est tribaliste surtout parce que dès le bas âge les parents appellent leurs enfants à se méfier des autres tribus. Un enfant normal qui grandit avec de tels préceptes et mises en garde est naturellement un tribaliste. Il se méfie de tout ce qui n’est pas de sa tribu. Sauf s’il a eu à se frotter à d’autres tribus ou à des circonstances qui lui ont fait prendre conscience du caractère faux de cette pensée.
Faire une autre communication sur l’Afrique
Il est urgent de cesser de présenter l’Afrique comme un continent où les tribus s’entretuent, où les religions s’affrontent. Ceci est souvent très faux. Face aux problèmes qui touchent l’Afrique, nous devons éviter le plus possible de les présenter sous l’angle tribal. En présentant les problèmes de l’Afrique sous l’angle tribal, au lieu de les résoudre, nous créons et suscitons d’autres problèmes. Les autres tribus tenteront de copier ces cas. Cette nouvelle communication doit se faire par des journalistes et des gens qui aiment l’Afrique. La Ligue Associative Africaine projette la mise sur pied de nombreux organes de presse pour assurer cette tâche. Mais elle ne peut la mener seule. Elle aura besoin de la contribution de tous les africains, que ce soit par les médias ordinaires ou les réseaux sociaux qui aujourd’hui s’imposent de plus en plus.
Aller vers les autres avec amour
L’amour est l’arme qui permet de guérir presque tous les maux. Au lieu de nous concentrer sur les défauts que les tribus peuvent avoir, il est urgent qu’on se concentre sur leurs qualités et qu’on leur fasse connaitre ces qualités et le rôle que ces qualités peuvent jouer dans la construction nationale. Une telle logique amène les éléments des tribus à vouloir se surpasser pour cultiver davantage de qualités. Il faut juger les gens comme ils viennent, indépendamment de leurs tribus ou de leurs religions. Si nous sentons que nous avons plus de qualités que d’autres, il faut aller vers ces autres et essayer de leur faire profiter de nos capacités. Ceci dans le but de construire une véritable Nation basée sur l’entraide et la confiance mutuelle. Toute société basée sur ces deux notions est une Nation invincible qui est appelée à évoluer en toute sérénité. C’est comme la famille. Si le plus fort de la famille utilise sa force pour opprimer les autres, ils seront tentés de chercher du soutien dans d’autres familles, pareil pour le plus riche et le plus intelligent. Si chacun veut utiliser ses qualités pour dominer les autres, la famille ne pourra jamais être unie. Par contre, si chacun, dans un élan d’amour, cherche à faire profiter ses qualités aux autres, la famille sera consolidée, chacun étant convaincu de pouvoir compter sur ses frères dans les moments difficiles. Le plus riche aidant les autres à être à son niveau ou utilisant sa richesse pour construire la famille, le plus intelligent et le plus fort faisant pareil. La Nation n’est qu’une très grande famille. Si nous parvenons à construire cette entraide et confiance mutuelle, nous cessons d’avoir peur des autres et construisons un continent fort et invincible. Notre seule faiblesse est notre crainte mutuelle. Nous sommes, comme l’affirmait déjà Aimé Césaire, une foule qui ne sait pas faire foule. Etre une foule qui sait faire foule c’est détruire le tribalisme et son support la tribu. Nous devons néanmoins être capables d’admettre que nous pouvons être différents des autres et que les autres peuvent être différents de nous. Cette différence doit non constituer un élément de lutte et de replis, mais un élément de compréhension mutuelle. Le tribalisme commence quand on nie la différence de l’autre et on le définie selon notre vision. La République de Fusion Africaine n’est pas le reniement des cultures particulières, mais leur commune expression dans une culture continentale. En tuant la tribu, la République de Fusion Africaine uniformise les cultures qui s’expriment dans une culture plus grande, plus englobante.
Nous devons à la phase actuelle de façonnement de la culture continentale, comprendre que l’autre n’est pas un étranger, mais un semblable avec qui nous devons construire ensemble une Nation et lutter ensemble pour assurer des lendemains meilleurs à nos enfants. Jean Ziegler précisait que la Nation nait de la volonté catégorique d’une avant-garde déterminée à briser tout sur son chemin. Le tribalisme, nous l’avons précisé, est le plus grand de ces obstacles.
Ce n'est pas parce que nous sommes semblables que nous allons former la République de Fusion Africaine. C'est parce que nous allons former la République de Fusion Africaine que nous allons devenir très semblables. Nous sommes plus d’un milliard d'hommes et de femmes parlant des langues différentes, n’ayant pas une communauté de sang, ni de croyance. C’est parce que nous allons nous unir et proclamer la République de Fusion Africaine que nous allons uniformiser tous ces éléments et façonner une nouvelle culture nationale. Frantz Fanon précise que ce n’est pas la culture nationale qui crée l’Etat, mais c’est l’Etat qui crée la culture nationale qui à son tour donne un sens à l’Etat. Pour ceux qui nous diront qu’une cohabitation est impossible parce que certaines tribus s’apprêtent à s’affronter, que les blessures des derniers affrontements tribaux restent encore dans les mémoires, que les arabes ont réduit les noirs en esclavage, que les noirs avaient jadis colonisé les arabes, nous leur répondons que personne n’avait cru que les Hutu et les Tutsis pouvaient revivre ensemble dans un même pays. Le Rwanda uni multiplie des grands pas en avant. Il a pris le temps de panser ses blessures et de se remettre sur le chemin de la croissance. Quand les catholiques et les protestants s’entretuaient en Europe, personne n’avait cru qu’ils pouvaient vivre ensemble dans un même pays. La volonté d’une avant-garde déterminée est suffisante pour tous les pardons et pour faire oublier les blessures du passé. Le temps guéri toutes les plaies. Noirs et arabes vivrons ensemble et fraternellement dans la République de Fusion Africaine. D’ailleurs, la conjoncture mondiale ne laisse le doute à personne. Le choix en Afrique actuellement n’est pas entre proclamer la République de Fusion Africaine ou ne pas la proclamer. Le choix est entre proclamer la République de Fusion Africaine ou disparaitre. Les noirs et les arabes n’ont pas le choix, ils doivent se mettre ensemble.
Cesser de considérer l’Etat comme un éléphant à dépecer
Pour commencer, il faut cesser de considérer l’ Etat comme un éléphant à dépecer et à partager. On entend souvent dire : « partage du gâteau national », « mangeoire de l’Etat ». Ce gâteau n’existe pas dans les petites républiques africaines, il est encore à faire. Le blé pour le faire n’est pas encore semé. Pour construire un temple, il faut divers éléments : gravier, ciment, eau, architectes, fer et autres. Si un seul élément est absent ou marginalisé, même si la construction a lieu, l’édifice ne résistera pas pendant longtemps. Dans la même logique, la construction de la République de Fusion Africaine ou du moins de la Nation nécessite que les différents éléments se mettent ensemble, se complètent pour la construction d’un puissant édifice, pour la construction de la civilisation multimillénaire. Ces différents éléments ne sont rien d’autre que les différentes tribus constitutives ainsi que les petites républiques actuelles. Chaque tribu constitue une fleur dans un bouquet. Seule, la fleur n’est pas très visible, ni très jolie. Mais au milieu d’autres fleurs, elle découvre toute sa splendeur. Elle contribue au rayonnement du bouquet. Chaque tribu et chaque petite république ne trouvera tout son éclat que dans l’Etat continental que nous bâtissons. En dehors, elle sera perdue.
La découverte des autres
Phinées Tsasse et Yemele Fometio ont détaillé ce point dans leur article commun « Comment allons-nous construire la Fusion Africaine ». Le tribalisme nait des préjugés que les tribus se construisent entre elles. La meilleure façon de combattre ces préjugés est d’amener les citoyens à être ensemble, à cohabiter. A côté des hauts lieux, il est urgent de faciliter les migrations entre les populations. Les Etats doivent s’assurer que les fonctionnaires soient affectés dans les tribus qui ne sont pas les leurs. Les mariages intertribaux doivent être encouragés par les politiques des gouvernements. Le désenclavement doit rendre accessible toutes les régions du pays. La fin du tribalisme est liée à la fin des préjugés, et ces préjugés se détruisent au contact de l’autre.
La Révolution panafricaine est la construction d’une nouvelle identité africaine
Aucune idée, aucune entité n’est immuable et éternelle. Tout est appelé à changer, à disparaitre pour céder place à autre chose. Dans le cadre de notre continent, c’est la tribu et les petites républiques actuelles qui sont appelées à disparaitre pour donner naissance à la République de Fusion Africaine. Cette République sera proclamée à la victoire de la Grande Révolution Panafricaine que nous menons actuellement. A part dans les films, la réalité nous apprend que seul un système met un terme à un système. Seule la Grande Révolution Panafricaine pourra mettre définitivement un terme au tribalisme et aux petites républiques actuelles.
Cette révolution vise à former un nouveau type d’homme capable de façonner une culture nationale africaine à partir des éléments particuliers. Il s’agit d’une réinvention de la culture africaine par les éléments culturels des différents peuples d’Afrique et par une nouvelle culture qu’exige la lutte pour la proclamation de la République de Fusion Africaine. Dans cette lutte nait naturellement une culture nouvelle. Pour être bref, il s’agit pour la Grande Révolution Panafricaine de secouer les sociétés africaines actuelles reposant sur le tribalisme, la misère sociale, la désorganiser pour ensuite la réorganiser sous des prismes de grandeur, de paix, de fraternité et de solidarité.