À qui profite les démissions de Issa Tchiroma et Bello Bouba Maigari du régime Biya ? Une lecture politique au-delà des apparences

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Dans toute enquête criminelle sérieuse, la première question que l’on se pose est : « À qui profite le crime ? ». Car si l’on se contente de condamner la main qui a exécuté l’acte, sans chercher la bouche qui l’a ordonné, cette bouche trouvera toujours de nouvelles mains pour commettre d’autres forfaits. En politique, la démarche doit être identique : face à tout geste spectaculaire, il faut se demander qui, au final, en tire bénéfice. C’est cette question essentielle qui nous prémunit contre la manipulation et nous aide à voir plus clair dans le théâtre du pouvoir.

Au Cameroun, le départ surprise de deux poids lourds de l’opposition – Bello Bouba Maigari et Issa Tchiroma Bakary – du gouvernement de Paul Biya, a fait couler beaucoup d’encre. Qui sont ces hommes, et surtout, à qui profite réellement leur démission ?

Retour sur le parcours de deux "opposants" devenus ministres

Bello Bouba et Issa Tchiroma ne sont pas des inconnus. Ce sont des anciens barons du régime Ahidjo, premier président du Cameroun. Bello Bouba fut même Premier ministre de Paul Biya à son arrivée au pouvoir en 1982. Après le coup d’État manqué d’avril 1984, l’un part en exil (Bello Bouba), l’autre (Issa Tchiroma) est emprisonné.

Avec l’ouverture démocratique de 1990, ils reviennent sur la scène politique. Bello Bouba fonde l’UNDP et se présente à la présidentielle de 1992, qu’il conteste après avoir fini troisième. C’est alors que la stratégie du régime Biya se met en place : pour diviser son parti et l’affaiblir dans le Nord, deux figures de l’UNDP – Issa Tchiroma et Hamadou Moustapha – sont nommées ministres. Bello Bouba conteste ces nominations et se retrouve véritablement dans l’opposition. Issa Tchiroma et Hamadou Moustapha sont exclus de l' UNDP. Les deux exclus  créent l’ANDP.

Mais Bello Bouba n’a jamais été un homme de l’opposition pure et dure. Après quelques tentatives de coalition avec les autres partis politiques d'opposition, il négocie secrètement son retour au gouvernement et est nommé ministre en 1997. Cette manœuvre avait pour objectif d’isoler le principal opposant, Ni John Fru Ndi, et d’affaiblir durablement l’opposition camerounaise. Depuis, Bello Bouba est resté fidèle au régime jusqu’à cette année 2025.

Issa Tchiroma, quant à lui, a passé des années à défendre avec zèle Paul Biya et son gouvernement, allant jusqu’à affirmer, face aux accusations de biens mal acquis, que le président « ne peut pas voler ». Sa démission aujourd’hui, suivie de critiques virulentes, peut surprendre ceux qui ont oublié son parcours d’opportunisme politique.

Ce qui lie ces deux hommes, c’est une longue carrière faite d’alliances et de retournements : tantôt opposants, tantôt ministres, toujours prêts à servir le pouvoir ou à s’en servir.

Ont-ils vraiment changé ? La vraie question à se poser

Beaucoup y voient un acte de repentir : après avoir longtemps servi un régime impopulaire, ces deux leaders se réveilleraient soudain, découvrant que ce régime est mauvais. D’autres estiment qu’il s’agit d’une manœuvre pour que le Nord, leur région d’origine, récupère le pouvoir après Biya. Certains pensent encore qu’ils sentent la fin du régime et se préparent déjà à se replacer dans le jeu politique.

Mais la question essentielle demeure : à qui profite leur sortie du gouvernement de Paul Biya ?

Un régime fragilisé et une stratégie vieille comme le monde

Le régime Biya traverse aujourd’hui une période d’extrême fragilité. La mauvaise gouvernance a nourri une contestation forte, notamment dans le Nord, bastion électoral historiquement acquis au pouvoir. La grève des enseignants (mouvement OTS) y a été la plus intense, et malgré les pressions, les enseignants y ont tenu bon. Des membres du gouvernement y ont même été séquestrés par des populations en colère. 

À l’approche de la présidentielle d’octobre 2025, le régime a tout tenté pour neutraliser ses principaux adversaires. Il a cherché à empêcher Maurice Kamto (MRC) de se présenter, sans succès. Juridiquement, le fait que le MRC n'ait pas d'élus ne pourra pas lui empêcher de se présenter aux élections. Le régime a tenté de déstabiliser Cabral Libii en soutenant Robert Kona dans sa tentative de prendre la tête du PCRN, mais Kona a perdu le procès et Cabral Libii est resté candidat à l' élection.

Face à ces échecs, le régime se tourne vers sa vieille tactique : diviser l’opposition et contrôler la contestation régionale. Qui mieux que Bello Bouba et Issa Tchiroma, figures respectées dans le Nord, pour détourner les voix protestataires et apaiser la colère des populations ?

En réalité, leur départ sert le régime

L’objectif est clair : présenter au Nord deux "opposants" historiques, capables de prendre des voix au MRC de Kamto, au PCRN de Cabral Libii ou à tout autre parti d’opposition. Non pas pour battre le régime, mais pour affaiblir la véritable opposition et maintenir Paul Biya (ou son dauphin) au pouvoir.

Ceux qui rêvent d’une alliance entre Kamto, Cabral Libii et ces deux "nouveaux opposants" idéalisent le combat politique. Dans les faits, ces deux hommes n’ont pas quitté le régime pour le combattre, mais pour l’aider à survivre, en se plaçant stratégiquement hors du gouvernement.

Dans le théâtre politique, rien n’est laissé au hasard. La question « À qui profite le crime ? » reste la clé pour comprendre les démissions spectaculaires, les ralliements et les divisions. Si l’on ne se la pose pas, on devient simple spectateur d’un jeu où d’autres tirent les ficelles. La sortie de Bello Bouba et Issa Tchiroma ne profite pas à l’opposition, ni au peuple camerounais. Elle profite d’abord et avant tout au régime de Paul Biya, qui espère, une fois encore, survivre grâce à sa vieille recette : diviser pour régner.