AES : Une Révolution nécessaire pour une libération définitive
AES : Une Révolution nécessaire pour une libération définitive
L’Alliance des États du Sahel (AES), formée par le Mali, le Burkina Faso et le Niger, s’est imposée sur la scène africaine comme une force souverainiste inédite. Cet article ne se veut pas une critique, mais une contribution à leur quête d’efficacité et de pérennité. Si ces États veulent éviter le sort de nombreux leaders africains avant eux, ils doivent transformer leur révolte en révolution totale, à la fois économique et culturelle.
I- Les prouesses souverainistes des États de l'AES
Depuis leur rupture avec la Communauté Économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) et le renvoi des troupes françaises, les États de l'AES ont montré une détermination impressionnante. Ils ont réaffirmé leur souveraineté par des actes forts :
Renvoi des armées françaises et signature de nouveaux partenariats militaires plus équilibrés.
Sortie de la CEDEAO pour échapper aux sanctions politiques et économiques dictées par l’Occident.
Création de l’AES, une alliance régionale axée sur la coopération sécuritaire et économique.
Contrôle des ressources stratégiques (uranium, or, pétrole) auparavant exploitées par des multinationales étrangères.
Sortie de la Francophonie, marquant une rupture symbolique avec l’héritage colonial culturel.
Ces actes, qui résonnent comme des victoires, rappellent les combats menés par des figures historiques africaines, mais mettent aussi en lumière un risque : celui de retomber sous la domination étrangère, comme tant de leaders avant eux.
II. L’histoire enseigne : des victoires éphémères face à la France
L’Afrique regorge de héros qui ont défié la tutelle coloniale et néocoloniale. Pourtant, beaucoup de ces victoires ont été récupérées ou réduites à néant par des mécanismes subtils de domination économique, politique et culturelle.
Sékou Touré, président de la Guinée, avait dit "Non !" à Charles De Gaulle en 1958, refusant d’entrer dans la communauté franco-africaine. Son pays a payé le prix fort par une asphyxie économique orchestrée par la France, mais il est resté debout. Après la mort de Sékou Touré, le pays est retombé sous influence française.
L’Algérie, après une guerre sanglante, a conquis son indépendance en 1962. Mais rapidement, la France a rétabli des relations commerciales et politiques qui maintiennent une influence économique forte sur l' Algérie.
Modibo Keïta, leader malien, a tenté de sortir du franc CFA et d'industrialiser son pays. Il fut renversé par un coup d’État soutenu par les intérêts occidentaux. Son pays est retombé sous domination française.
Thomas Sankara, figure révolutionnaire du Burkina Faso, prônait l’autosuffisance, la lutte contre la corruption et la libération culturelle. Son discours face à François Mitterrand en 1986, dénonçant la complicité de la France avec l’apartheid en Afrique du Sud, résonne encore aujourd’hui. Il fut assassiné l’année suivante, et son pays redevint un territoire sous influence française.
Laurent Gbagbo, en Côte d'Ivoire, a cherché à rompre avec l’influence économique française. Il a été arrêté après une intervention militaire française en 2011, et la Côte d'Ivoire est retombée sous influence française avec Alassane Ouattara.
Le point commun entre ces figures est l’installation par la France de dirigeants dociles après eux. L’AES doit tirer les leçons de ces échecs pour transformer l’élan souverainiste en une révolution totale, irréversible. Sinon leurs pays après eux retomberont sous influence française, et la France travaille déjà à celà. Elle prépare déjà ses leaders sur le terrain pour anéantir les efforts des dirigeants actuels de l' AES. C'est une guerre, et la France sait qu'elle est en guerre. Elle affine ses stratégies.
III. Une révolution économique et culturelle : la clé de la survie
Jean Ziegler disait qu'une nation est achevée quand les aléas du capitalisme mondial n’ont plus prise sur elle. Tant que les pays de l' AES dépendront des prix de leurs ressources fixés ailleurs, tant que de l' extérieur on peut influencer son économie ou influencer la mentalité de sa population, alors il n' y aura pas de véritable souveraineté.
Les États de l’AES doivent s’émanciper de l' emprise économique. Pour cela, deux piliers sont indispensables :
1- La révolution économique : vers l’indépendance totale
Il y a urgence :
D'une industrialisation massive pour transformer sur place les matières premières (uranium, coton, or, etc.) et créer de la valeur ajoutée.
Du lancement d’une monnaie souveraine, pour se libérer du franc CFA, véritable outil de contrôle monétaire.
De la réforme agricole pour atteindre l’autosuffisance alimentaire et stopper les importations massives de produits occidentaux.
2- La révolution culturelle : décoloniser les esprits
Il faut également :
La refonte totale des programmes scolaires, pour enseigner l’histoire, la philosophie et les sciences selon une perspective africaine, en rejetant les récits eurocentrés.
La promotion du consommer local, à l’image de Sankara qui encourageait le port du Faso Dan Fani, un textile local.
Le développement d’un cinéma panafricain, pour contrer l’hégémonie culturelle occidentale qui formate les imaginaires africains.
IV. La solidarité internationale : rendre la victoire irréversible
Kwame Nkrumah disait que l’indépendance du Ghana n’aura pas de sens si toute l’Afrique n’est pas libre. L’AES doit adopter cette vision panafricaniste. Pour cela, elle doit :
Soutenir les mouvements nationalistes et souverainistes sur tout le continent, voire dans d’autres régions du monde.
Former et financer des leaders révolutionnaires, pour garantir que la lutte ne s’éteindra pas, même en cas de leur renversement.
Créer des alliances stratégiques Sud-Sud, avec d’autres nations anti-impérialistes en Amérique Latine, en Asie ou au Moyen-Orient. C'est ce que Kwame Nkrumah avait fait en son temps quand le Ghana était le premier pays d'Afrique noire à se libérer de la colonisation. Grâce à ses initiatives, d'autres pays africains se sont libérés, des mouvements nationalistes à travers le continent bénéficiait de son appui et se sont mieux structurés pour affronter les colons. Beaucoup de défis attendent les leaders de l' AES pour rendre leur victoire pérenne.
Conclusion : Transformer la révolte en révolution permanente
L’AES a montré une audace rare dans le contexte africain contemporain. Mais si elle se limite à des victoires politiques, sans transformation structurelle profonde, la France ou toute autre puissance attendra patiemment leur chute pour placer de nouveaux dirigeants dociles.
Pour que la victoire soit définitive, les États de l’AES doivent embrasser une révolution totale : économique, culturelle et panafricaniste. C’est à ce prix qu’ils écriront l’histoire et éviteront le sort de Sékou Touré, Sankara ou Gbagbo.
L’heure n’est plus à la résistance temporaire. L’heure est à la libération totale et irréversible.
Douala le 18 mars 2025